jeudi 20 mai 2010

Le changement intervient quand la finitudisation ne considère plus l'infini et tend de plus en plus à ne considérer que le fini.
Je précise que le modèle de destruction comme passage obligé dans le processus de changement n'est pas un modèle de destruction pure du type nihiliste. La destruction n'est jamais la fin. Quelqu'un qui se demandant ce qu'est le changement en viendrait à l'idée qu'il convient pour lui de détruire et que la construction viendra par la suite se trompe lourdement. Car la destruction qu'il occasionnerait sera effective. Quant au changement, fort du principe selon lequel la nature a horreur du vide (au sens de néant nihiliste), il sera aussi effectif qu'étranger au destructeur - et à la destruction.
Le modèle ordo ab chao (sous sa formulation politique impérialiste diviser pour régner) est faux. Pour une raison simple : le chaos positif n'existe pas. On ne peut pas détruire pour construire dans le sens où la destruction est un passage dans le processus, jamais une fin. La fin d'un processus de construction ou de création tient au changement, soit à l'édiction de nouveaux principes. La destruction nihiliste tend à finitudiser le réel, soit à considérer que le changement existe de manière contradictoire : lui qui serait à la fois changement serait aussi maintien dans l'ordre donné (qui est l'ordre unique ne tant qu'il est fini).
Le nihilisme veut à tout prix conserver l'ordre tel qu'il est, soit changer sans changer. D'où sa théorie contradictoire de l'ordre par la destruction. Tout changement implique le remplacement au moins progressif de l'ordre. Tout changement exprime l'intégration de l'infini dans un donné. Cette intégration suppose bien des chamboulements et des désordres, mais le processus n'est pas commandé par la destruction. Il est guidé par le principe de l'infini qui est d'être quelque chose. Diminuer pour croître : détruire pour décroître. Le changement se manifeste par l'accroissement, quand la destruction décroît. La destruction ne change pas, mais à quel prix : elle engendre du coup la destruction totale, la destruction de l'ordre voulant se sauver.
Le néant néanthéiste s'oppose au néant nihiliste.
L'avantage du nihilisme, c'est qu'il a mis sur la table la question du néant.
Le transcendantalisme avait évacué le bébé avec l'eau du bain. Le transcendantalisme évacue le hasard et derrière le rôle marginal dévolu au hasard, il faut voir dans le hasard le prête-nom, voire le masque (attirail typiquement vénitien revendiqué par Nietzsche), que joue ce terme - en faveur du néant.
La pérennité du nihilisme dans le comportement humain tient en fait à l'existence du déni (le déni désigne un refus du réel). Déni à propos de la question du néant. Si horrifiés par cette question, les transcendantalistes ont remplacé le mot néant par l'Être avec une interdiction formelle d'aborder la question qui fâche. La réaction d'un Platon à ce sujet est symptomatique : la censure dont il frappe Démocrite (avec raison sur le fond du débat) va de pair avec le traitement criminel de son maître Socrate et de ses idées.
Il n'est pas envisageable à l'intérieur du transcendantalisme d'admettre ne serait-ce qu'hypothétiquement la question du néant. Ce rejet violent, cet ostracisme intransigeant s'expliquent parce que la question du néant n'est pas envisageable pour le transcendantalisme. Qu'est-ce que la structure de pensée du transcendantalisme? C'est l'englobement. Si le sensible est une partie du tout, alors le réel parcellaire qu'est le sensible est forcément englobé par une forme englobante qui est son prolongement englobant.
Dans cette conception de structure, l'Être est le prolongement englobant de l'être : le hasard et le néant n'y ont pas leur place. La question du néant se trouve ainsi refoulée alors qu'elle est centrale. La pérennité du nihilisme vient précisément du fait que la question centrale qu'il met sur la table est rejetée sans examen, dans le déni. Qu'est-ce qui expliquerait la viabilité de la question nihiliste - en même temps que l'incapacité du transcendantalisme à éradiquer la survivance du nihilisme?
1) L'Être n'est pas défini ni définissable.
2) Le schéma structurel du nihilisme repose sur l'antagonisme irréconciliable néant/réel.
Or le succès du nihilisme tient précisément au fait que l'on sent dans l'expérience quotidienne que l'englobement comporte au moins une faille majeure dans son hypothèse théorique : il existe une différence dans la structure du réel sans quoi ce que l'on nomme Être et qui est prolongement serait palpable, visible, de l'ordre de l'expérience.
La critique qui peut être adressée au nihilisme tient à la certitude que prétend apporter le nihilsime ne tant que modèle supérieur (par rapport au modèle alternatif et majoritaire de type transcendantaliste) : à quel prix (quelle exigence) obtient-on cette certitude? La méthode nihiliste réduit pour garantir la certitude.
Son raisonnement pourrait s'énoncer comme suit : pour obtenir de la certitude, le mieux est encore de choisir du certain à tout prix, soit de réduire le champ du réel au spectre du connu le plus irréfutable. On obtient de la sorte un réel si réduit qu'il crée du néant du fait de la réduction forcenée qu'il opère. C'est-à-dire que le nihilisme obtient le résultat inverse de ce qu'il promet et promeut : en guise de certitude, son opération de magie noire et de charlatanisme crée le maximum d'incertitude.
Sous prétexte de créer de la certitude on a crée de l'incertitude sur le mode : on obtient un maximum d'incertitude sous prétexte d'un maximum de certitude. La supercherie tient à l'opération qui garantit (certifie) : la certitude s'obtient au moyen de la réduction. Le maximum de certitude ici invoqué comme principe de précaution (plus ou moins similaire dans le raisonnement) consiste à accréditer un maximum d'incertitude pour valider un maximum de certitude. Dans les faits, cette opération irrationnelle et perverse aboutit à définir comme réel certain le réel le plus immédiat et fini alors que cette réduction libère la place à un réel indéfini et chaotique (l'espace dénié du néant).
Le nihilisme crée le déni de néant. C'est particulièrement ce qui se produit chez le saint de l'immanentisme Spinoza. Le nihilisme correspond de fait à un refus de dépasser l'immédiateté, soit à l'immédiateté posée comme réel. Le néanthéisme consiste à ajouter à la réponse transcendantaliste (au défi nihiliste premier) la question du néant. Comment concilier la question du néant au quelque chose? Comment concilier Leibniz et Spinoza, Platon et Aristote? Pas en imitant le compromis de facture nihiliste; en comprenant que le nihilisme de toutes les époques met sur la table la question du néant.
En comprenant que cette question du néant bouleverse la question ontologique classique, de facture transcendantaliste, en mettant en évidence les limites dépassées du transcendantalisme, en particulier son modèle d'englobement (Être/étants). On le remplace par le modèle d'enversion, qui considère que le néant est quelque chose (le néant n'est pas rien, assertion du nihilisme), mais qu'il n'englobe pas le réel. Au contraire, s'il l'englobait, on le connaîtrait. Le caractère inconnaissable de l'Être englobant indique son inexistence en tant que telle - et c'est de la sorte que le nihilisme immanentiste détruit le transcendantalisme et entend le remplacer.
Seuls des modèles posant que seule l'existence existe sont valables - c'est en ce sens qu'avec ses limites le transcendantalisme fonctionne en réponse au nihilisme. Le nihilisme ne saurait fonctionner car il pose qu'à côté du quelque chose coexiste rien, soit un modèle antagoniste. Le nihilisme prospère souterrainement et avec des compromis en pointant du doigt les limites (énoncées) du transcendantalisme. En gros, le nihilisme se targue d'être supérieur car il serait le seul à évoquer la question du néant.
L'ontologie classique dénie le néant et le nihilisme (qui est l'ontologie du déni) parle du néant de manière fausse. Reconnaissons au nihilisme son mérite : aborder la question du néant. Et donnons au néant l'inflexion qu'il mérite. Sa reconnaissance passe par sa définition dans le quelque chose. Si le néant est quelque chose, le nihilisme est caduc. Vive le néanthéisme!