jeudi 29 juillet 2010

S'il convient de ne pas sombrer dans la mode des multivers et autres mondes parallèles, reprenons le modèle de Leibniz : parmi les infinis possibles qui s'offrent à Dieu, Dieu choisit le meilleur des possibles pour le faire advenir à l'existence. Cette structure n'est envisageable que si on la distingue de la structure des multivers par le caractère de l'unité : quelles que soient les multiples formes que prend l'univers, toutes sont liées les unes aux autres.
Mais la finitude du meilleur des mondes leibnizien indique que ce monde aussi parfait soit-il n'est pas complet : cette incomplétude viscérale pose la question initiale. Si le meilleur des mondes est incomplet, alors la structure d'incomplétude recoupe l'emboîtement (les poupées russes). Ce qui sépare l'infinitude des mondes incomplets de l'hypothèse des multivers, c'est la notion de parallèle (mondes parallèles) : des mondes parallèles infinis ne se touchent pas, ne se rencontrent pas, n'ont aucun contact entre eux. Alors que selon une structure d'héritage leibnizien, les mondes sont interconnectés entre eux puisqu'ils s'emboîtent.
Il convient de distinguer deux idées dans la forme du réel :
1) les possibles et le réel;
2) à l'intérieur de ce réel, l'emboîtement conserve l'unicité au point que chaque monde fini forme une unité représentative de l'ensemble des mondes auquel il se trouve interconnecté.
Sans cette structure d'emboîtement à l'infini, le monde extérieur et général contredirait notre propre corps, qui contient une infinité de mondes le constituant et qui s'ouvre sur un monde infiniment grand qu'il tient (improprement) pour un. Seul l'emboîtement permet de résoudre le problème de l'infiniment petit et de l'infiniment grand. Mais la solution que propose Leibniz, si elle résout la question des univers parallèles en montrant leur impossibilité (le manque de lien et d'unité), pose le problème des possibles : qu'est-ce que le possible et qu'est-ce qui le distingue du réel?
Si le possible est ce qui possède une perfection moindre et que l'existence est ce qui possède la plus grande des perfections, alors les possibles représentent des états qui oscillent entre la réalité (incarnation) et la virtualité, avec comme particularité qu'ils oscillent de plus en plus vers la virtualité. Le possible désigne cet état de réel qui existe indépendamment de l'incarnation sensible. L'incarnation sensible étant le maximum de perfection des possibles, l'emboîtement est la structure en plus de cette infinité de possibles.
Le possible non incarnable est de structure finie car ce qui présente moins de perfection que le maximum de perfection est assujetti au fini. Si les possibles plus leur incarnation indéfinie (infinité d'ordres finis) sont de structure finie, alors l'infinitude générale du réel incarné (de type unique) plus des possibles interconnectés et non incarnés sont de nature incomplète. La complétude implique donc l'existence d'une autre incomplétude, qui ne ressortit pas de la structure d'ordonnation finie.
Soit cette structure est tenue pour le néant nihiliste et elle se trouve alors en antagonisme avec le réel sensible; soit elle se trouve biffée par l'englobement transcendantaliste. Pourtant cette structure existe comme enversion, c'est-à-dire qu'elle se trouve liée aux possibles et aux ordres incarnés, sans épouser leur structure même. La différence principale tient à l'infinitude du néant néanthéiste. L'infinitude n'est pas la complétude. L'infinitude est compatible avec l'incomplétude. Raison pour laquelle le néant existe à l'état d'unicité unifiée et à l'état d'indépendance par rapport à l'ordre.
Dieu est la somme unifiée de ce néant et de ces ordres (comprenant les possibles). Dans cet enchaînement, le néant imprègne les diverses successions d'ordre en tant qu'il constitue chaque fois le complément en miroir de l'incomplétude des ordres, mais la simultanéité du néant (comprise comme simultanéité de l'éternité par certains théologiens chrétiens) fait que le néant à la fois :
- est l'imprégnation constitutive de chaque ordre incomplet
et
- recouvre l'existence d'une dimension infinie et incomplète dont on ne peut que relever la structure d'enversion.
Cette enversion implique que :
1) l'unité fondamentale du réel est restaurée, contre le schéma nihiliste qui brise l'unité pour la transformer en dualité antagoniste;
2) la connaissance est possible puisque le réel se trouve lié par toutes ses parties et que l'enversion si elle diffère de l'englobement ne remet pas en question l'unité ontologique (comme la connaissance afférente);
3) la contestation contre le transcendantalisme se trouve dépassée par le rapport d'enversion.
La distinction entre néanthéisme et nihilisme est définitive : le nihilisme sépare deux formes de réels irréductibles et antagonistes; le néanthéisme lie ces deux formes en mettant l'accent sur le fait que le lien s'opère sur le mode du miroir (de la gémellité) et que l'incomplétude commune (généralisée) succède à la complétude de l'Être (dans le schéma transcendantaliste).