dimanche 18 avril 2010

Il n'est que deux réels, des jumeaux complémentaires et imparfaits - pas des jumeaux identiques et parfaits. Le réel que nous connaissons est le sensible. Il est complété par le néant néanthéiste.
Ce réel possède d'innombrables inter-divisions et interconnections que nous prenons souvent pour d'autres mondes.
Contrairement à l'assertion platonicienne (héritage de conceptions africaines et égyptiennes), nous ne constituons pas la dernière strate d'un corps que nous nommons l'univers ou le réel. Nous appartenons à une certaine strate, mais l'emboîtement de ces strates est indéfini. Raison aussi de l'état d'esprit nihiliste : le sentiment de vanité de notre condition résulte du caractère indéfini de l'emboîtement et de la superposition des strates.
Au seul point de vue humain (représentation dans une certains strate), d'autres représentations inférieures comme les représentations animales peuvent présenter des types de représentation du réel qui ne prennent en compte que certains éléments parmi ceux à la disposition spécifique de l'homme. Si l'on considère certaines formes de vie éloignées de l'homme (à sa connaissance), comme celles de molécules, on se rend compte que :
1) l'homme est constitué de formes de vivants plus petites, dans une spirale indéfinie;
2) ces petites formes de vie ignorent des formes de vie qui leur sont trop supérieures, parce qu'elles ne disposent pas des moyens adéquats de se représenter le réel avec ces formes de vie.
Leur représentation du réel se trouve réduite et déformée. De ce fait, il est fort à parier (pour le répéter) que l'homme ignore à son tour des formes de vie supérieures et qu'il fasse partie d'autres corps (d'autres organismes), ainsi que le pensait Platon, à ceci près que cette structure d'emboîtement, à la manière des poupées russes, n'est pas ultime au-dessus du niveau de réalité ou de représentation de l'homme - mais qu'elle est indéfinie.
Il est tout autant à parier que l'homme réduise et déforme les formes de réel supérieures dont il en peut percevoir l'existence, au mois sous une forme adéquate. La disjonction entre les formes de vie inférieures à l'homme et l'homme lui-même se répercute à un niveau supérieur - l'homme ne se trouve pas en mesure de pénétrer l'existence de formes de vie supérieures qui ne sont pas constituées sur le même mode (de manière parallèle et linéaire) que les formes de vie du monde humain.
Le fait que la connaissance soit possible indique que la disjonction dans le réel est inférieure à la conjonction. Contrairement à la mentalité essoufflée et du nihilisme qui relativise dans la mesure où elle fragmente, la connaissance est possible de manière non relativiste (contrairement à ce qu'enseignait le sophiste Protagoras en particulier). Les parties hétérogènes sont toujours reliées entre elles; les phénomènes de différence et de disparité irrécusables sont englobés sous un principe d'union qui leur est supérieur de très loin.
Du coup, il n'est que deux types de réel : deux réels incomplets. Nuance d'importance. Il n'est un réel que dans l'ordre sensible. Mais il est deux réels. C'est le principe de l'enversion néanthéiste qui affine et renouvelle l'Un transcendantaliste en reprenant la théorie nihiliste tout en supprimant l'antagonisme sensible/néant et la définition du néant positif.
1) Le réel sensible se décline sous une indéfinité de formes interconnectées et parcellaires.
2) Le néant pur, qui est le divin et qui engendre du fait de son incomplétude (par nécessité d'incomplétude) le sensible complémentaire.
(Ce néant incomplet se distingue du tout au tout du néant pur de type nihiliste. Le néant nihiliste n'existe pas quand le néant néanthéiste existe et participe de cette existence si mystérieuse).
Cette dualité réduplique la disjonction en ce que les deux formes complémentaires de réel se distingue, mais pas sur un mode antagoniste et inversé - où chaque réel serait égal quoiqu'opposé. Sur un mode enversé et complémentaire où l'un ne peut être sans l'autre. Le réel sensible est toujours fini. Le réel néanthéisé est lui éternel. L'éternel étant incomplet, le fini lui est adjonction nécessaire. Nous avons affaire à deux formes de réel dont la distinction se traduit par l'existence de l'infini pur envers du fini multiple et indéfini. La représentation néanthéiste explique la coexistence de théories aussi diverses que parfois explicitement contraires (le réel un quoique double, le réel moniste et holiste, les univers parallèles, etc.).
L'important est de définir le réel et de ne pas opérer de distinctions abusives. Il y a distinction abusive quand on distingue ce qui est relié sans disjonction (comme les mondes finis et sensibles emboîtés de manière indéfinie). Il y a distinction quand on peut séparer deux domaines, comme le fini et l'infini. Peut-on estimer que les deux réels infini/fini se retrouvent reliés entre eux par leur incomplétude complémentaire? Leur unité tient à leur complémentarité, qui fait que la connaissance des mondes finis engendre la connaissance de l'infini (incomplet selon le néanthéisme).
De ce point de vue, il y a bel et bien unité générale. Mais il y a aussi disjonction dans le cadre de cette unité. L'unité tient à la présence, qui est générale, tant au sensible fini qu'au néant infini. La disjonction tient à l'expression de l'enversion complémentaire. Le complément de l'infini est le fini. Le lien entre l'infini et le fini n'obère en rien la disjonction fini/infini. Si la connaissance légitime l'unité, la disjonction explique la diffusion sur le mode de de la complémentarité (néanthéisme), non de l'antagonisme (nihilisme).
1) D'un côté, le réel est éternel et unique, comme le montre le lien entre le néant et le sensible et l'éternité du néant.
2) De l'autre côté, nous avons un sensible pluriel et fini, qui ne cesse de donner raison à la théorie pré-socratique et physique de l'Éternel Retour, selon laquelle les mondes finis se succèdent les uns aux autres de manière indéfinie (théorie soit dit en passant autrement plus sérieuse et fiable que la reprise nietzschéenne et psychologique sous la forme d'un test grotesque et diabolique).
La pluralité des mondes va de pair avec l'unicité du monde. Si l'on définit la pluralité des réels comme le fait que leur coexistence n'est pas possible, seuls deux réels sont envisageables. Dans l'ordre de l'ordonnation de nature sensible, la pluralité des mondes est réduite à l'unicité du réel sensible incomplet du fait que tous les mondes s'interpénètrent, s'enchevêtrent et s'imbriquent, à la manière des poupées russes. La dualité du réel s'explique par son incomplétude. Si l'on peut ramener le sensible à l'unicité d'un réel, il importe de considérer que cette unicité allant de pair avec son incomplétude, elle n'est possible qu'avec l'adjonction logique non d'un englobant enfin complet et parfait (selon la thèse transcendantaliste), mais d'un complément inférieur et un, le néant néanthéiste, soit le néant qui n'est pas néant positif mais qui est quelque chose, quelque chose de chaotique, d'indivisible et d'existant à l'état lui aussi d'incomplétude.
La dualité du réel est au final le plus pertinent modèle du réel, mais une dualité qui n'est ni englobante, ni antagoniste (sur le modèle nihiliste). C'est une dualité complémentaire, sur le modèle de l'enversion.

samedi 17 avril 2010

Si l'on examine les modalités du changement, le rien renvoie à la chose. Une chose informelle, réduite - une chose. Le néant est quelque chose. Quelque chose - d'informel : quelque chose à l'état d'incomplétude pure. Quelque chose sans ordonnancement. Quelque chose qui a du fond sans forme. Si le rien renvoie à quelque chose, la première leçon du transcendantalisme comme de l'ontologie, c'est que le néant pur (positif) n'existe pas. L'absence pure n'existe pas. Le langage ne parvient d'ailleurs pas à exprimer le néant sans l'associer de manière antithétique à l'existence, soit au quelque chose!
Non seulement le nihilisme repose sur l'erreur fondamentale la plus obvie, et l'on comprend l'opposition stricte du transcendantalisme (dont la colère mémorable de Platon contre les sophistes ou Démocrite), mais encore le changement implique que l'on passe de quelque chose à autre chose, soit qu'une évolution se produise dans l'ordonnancement. Du coup, outre le processus de diminution qualitative (au niveau du néant incomplet et néanthéiste), la dynamique de destruction apparaît comme la condition au changement. Détruisez, il en restera toujours quelque chose. Le Christ ne dit-il pas : détruisez ce temple et en trois jours je le relèverai?
La destruction est la condition sine qua non à la construction. Quand on construit, on crée. L'acte de création renvoie à l'action d'instaurer quelque chose à partir de rien. Bien entendu, on peut estimer que le néant provient du rien pur - que Dieu opère un acte quasi magique de création à partir de rien. Si l'on affronte l'interrogation leibnizienne (pourquoi quelque chose plutôt que rien?), on en arrive à l'idée que le rien est toujours quelque chose. Créer à partir de rien, c'est ordonner quelque chose d'informel, donner au chaos forme. Une forme.
La destruction est l'opération préalable qui engendre la création. Le rituel du sacrifice instaure la pratique, avec l'idée que l'on brûle (plus largement que l'on détruit) pour permettre la création à partir de l'informel. Pour que la forme revienne, encore convient-il de détruire préalablement. Encore convient-il de préciser que l'acte de destruction ainsi compris n'est pas la destruction cataclysmique synonyme de disparition. Il n'est pas question d'appeler à la fin du monde, ou à la fin de l'homme (dans un sens littéral plus que philosophique), mais à la fin d'un monde, soit à une disparition comprise dans les bornes du monde de l'homme et ne touchant en aucun cas à l'intégrité de l'homme lui-même (encore moins du monde comprenant le monde de l'homme présent).
Il convient de distinguer entre la destruction totale, qui englobe l'ensemble du monde de l'homme, et la destruction partielle, interne au nom de de l'homme. Quand l'homme recourt à la destruction pour construire, il utilise deux repères :
1) il détruit en proportion de ce qu'il veut (re)construire;
2) il détruit généralement ce qu'il aime en fonction de ce qui le concerne.
L'esprit du sacrifice est présent dans la destruction. Le sacrifice antique permettait de changer le cours du réel au profit du sacrificateur. L'abolition du sacrifice dans le monothéisme indique que le monothéisme estime que le changement est constitutif du divin (le divin est l'autre), voire que le monothéisme n'a pas besoin de changement extérieur à sa propre forme.
Raison pour laquelle les grands changements s'opèrent suite à de grandes violences, des destructions, des révolutions, des bouleversements : pour changer, encore convient-il de commencer par - détruire. Avec une précision d'importance : le changement que suppose la destruction n'est jamais un changement favorable à l'ordre en place. En détruisant l'ordre en place, on favorise l'avènement d'un autre ordre - pas le maintien de cet ordre. C'est l'esprit du sacrifice qui prétend moins changer que d'empêcher le bouleversement de l'ordre contenu dans le changement. Changer en conservant les données.
La destruction est l'opération première du changement. La deuxième condition est que l'esprit du changement implique la mutation de l'ordre, voire son remplacement. Plus la destruction est importante, plus le changement s'annonce important. Mais la destruction n'est-elle pas que l'opération négative du changement - impliquant l'opération positive de construction ou de reconstruction? Au risque de jouer du paradoxe, j'oserai que le positif est plus contenu dans l'opération de destruction que le négatif.
Je veux dire : le négatif n'implique pas le passage au positif et ne propose rien d'autre que son œuvre négative. Destruction totale. Toute destruction partielle est déjà positive ou constructive. De la destruction pour de la destruction : une entreprise négative de destruction ne provoquerait pas la construction. Elle se résumerait à une destruction d'ordre cataclysmique. Le fait que la destruction accouche de la construction indique que c'est une destruction qui est opérée dans le but de permettre (relancer) la construction à venir.
La destruction sert le changement sans quoi elle se limiterait au spectacle désolant de la fin du monde. Le changement est le passage d'un monde à un autre (dans un sens proche de l'Éternel Retour d'ordre physique propagé par les pré-socratiques). Le changement est spécificité humaine : les autres espèces animales ne changent pas. Elles ne sont pas capables de changer, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas capables d'intégrer un principe extérieur qui modifie leur ordre donné. L'homme change car il est capable d'intégrer des principes extérieurs, en reconnaissant que son monde n'est pas l'intégralité du réel.
L'opération de destruction s'intègre dans ce processus d'échange au sens qu'il sert le changement. On commence par désintégrer pour mieux intégrer. La destruction appartient à l'opération d'ensemble du changement, dont elle constitue une sorte de propédeutique. Pas de changement sans destruction. La destruction avec changement diffère du tout au tout de la destruction sans changement (définitive). L'on ne détruit pour changer que par rapport au changement. Tout se passe comme si les conditions du changement n'étaient pas calculées ou pensées par des hommes, mais que le changement se produisait en fonction d'intérêts qui proviennent du réel.
Le changement nous confronte à la problématique du divin. Le changement, c'est le divin. La destruction appartient à ce plan d'ensemble. Comme elle n'est pas calculée par l'homme, la destruction du milieu de l'homme indique l'importance et l'ampleur des changements. Plus la destruction est importante, plus le changement s'annonce considérable. Quelle est la loi de destruction qui explique que la destruction soit un paramètre régissant l'homme tout en lui échappant? Cette destruction est fonction de la fixité ou de la stabilité accordée par l'ordre humain à lui-même.
Plus l'homme d'un ordre estime son ordre immuable, plus il fonde un ordre destiné à être détruit et à connaître un changement important. C'est ainsi que notre ordre a tellement sombré dans la démesure, soit dans la fixité et l'adhésion à son caractère immuable, qu'il s'est constitué dans en forme de puissance babellienne et que le changement qui est à notre porte s'avère de la plus haute importance. Sans doute sommes-nous confrontés au plus grand changement de l'histoire humaine. Sans doute la destruction sera-t-elle cette fois la plus importante puisque la destruction préfigure au changement et appartient à son processus. Plus on refuse le changement, plus on le prépare. Loi de la destruction positive.