mercredi 30 décembre 2009

Dans la conception cartésienne, l'univers existe en tant que donné. Dieu a créé l'univers, mais n'y est plus présent une fois l'univers créé. C'est le deux ex machina qui intervient dans cet univers de manière miraculeuse - quasi étrangère. Pour demeurer dans le dogme chrétien, Descartes postule son deux ex machina. Également pour une raison métaphysique : permettre une explication plausible de son système. Sans son deux ex machina, l'ontologie cartésienne est rigoureusement fausse. Dieu n'intervient par magie (de temps en temps) qu'au prix du viol des lois de l'univers matériel défini par Descartes. Selon la conception des ontologues classiques, emmenés par Platon, et des théologiens chrétiens, incarnés par Saint Augustin, la liberté est un mystère arationnel en ce qu'elle dépend de Dieu tout en gardant l'autonomie de la créature par rapport à son créateur.
Dans la conception mécaniste, que défendent Aristote et Descartes, avec des variations sur le même thème, la nécessité rend caduque la liberté. Cette nécessité est certes irrationnelle et partielle, puisqu'une certaine part de liberté tout aussi irrationnelle est sauvegardée par Descartes. Spinoza se verra comme l'ontologue-dissident par excellence en ce qu'il théorise avec un soin rationnel très spécieux la nécessité et qu'il rapporte la liberté à la puissance. En réalité, l'examen du système spinoziste indique qu'il est tout sauf un rationaliste, mais un irrationaliste qui est incapable de définir les fondements de son ontologie, à commencer par ce concept biscornu et bancal d'incréation. Dans les deux systèmes, on ne parvient jamais à définir adéquatement la liberté.
1) Dans le système classique de type transcendantaliste, l'on a l'impression d'une plus grande cohérence, mais d'une redondance inexplicable de cette liberté.
2) Dans le système immanentiste dissident (et fier de l'être), l'annonce triomphaliste de la cohérence de la liberté entendue comme nécessité est suivie d'un manque manifeste de cohérence et de sens. L'immanentisme ne parvient jamais à triompher du manque transcendantaliste, mais propose une définition indéfinissable en lieu et place de la définition classique. C'est la manière usuelle pour l'immanentisme de dépasser le transcendantalisme par la supériorité de l'impossible. C'est aussi en quoi l'immanentisme est nihilisme.
Par rapport à ces deux systèmes, le système classique et son successeur immanentiste, qui est devenu dominant et qui n'est pas à l'aise dans ce costume de faux subversif et faux marginal, le néanthéisme propose une interprétation plus cohérente et enfin explicable : tout se passe en termes d'incomplétude. La grande nouveauté tient dans l'incomplétude. Tant que l'on jauge en termes de complétude, on ne parvient pas à expliquer tout à fait de manière cohérente.
1) Du côté de la complétude transcendantaliste, le véritable transcendantalisme ne parvient pas à expliquer le passage de la complétude idéale à l'incomplétude sensible - de la complétude du tout à l'incomplétude de la partie.
2) Du côté de la complétude immanentiste, cette complétude-là est perverse car elle ressemble furieusement à de l'incomplétude transcendantaliste qui sans aucun changement notoire se déclarerait miraculeusement et subitement complète. Le désir complet à la sauce Spinoza est avarié car il repose sur un changement inexistant, fondé seulement sur l'arbitraire capricieux d'un volonté sans doute insatisfaite.
Reste le néanthéisme qui intronise l'incomplétude en lieu et place de l'incomplétude. Selon le transcendantalisme, la complétude existe en tant que tout (idéal). Selon l'immanentisme, la complétude existe en tant que partie. Selon le néanthéisme, la complétude n'existe pas. Dieu est incomplétude. Dieu dispose du pouvoir (incomplet) de créer le monde, puis d'en connaître l'évolution, mais il n'agit pas sur le monde qu'il a créé. Il a créé le monde et ce sont les parties créées qui agissent selon leur création.
Autant dire que les créatures agissent suivant l'impulsion du créateur et que l'incomplétude est le seul moyen d'expliquer la liberté de la créature à l'égard de sa création - et de son créateur. La liberté reprend sens, alors que dans la conception immanentiste, non seulement la liberté n'avait plus de sens, mais la définition de la liberté la ravalait à un accroissement de puissance aussi dérisoire qu'immaîtrisé.

vendredi 18 décembre 2009

Dans le système transcendantaliste, les idées popularisées par Platon tiennent lieu de lien transcendant. Dans l'immanentisme, les concepts interdisent tout rapport transcendantaliste et rompent avec l'idée en ce que ce sont des idées finies ici et maintenant, hic et nunc, qui accoucheront, dans un sens peu maïeutique, des idéologies. Dans le néanthéisme, le reflet institue le rapport d'enversion. Le rapport de prolongement devient d'enversion. C'est dans un sens délicieusement polysémique, de la réflection. La réflection est de la réflexion qui change le statut des idées en idées d'enversion.

mercredi 16 décembre 2009

Quand on assiste à la naissance d'un être, c'est le spectacle de la sortie d'un petit corps du corps maternel qui frappe le plus. L'émotion est dans cet englobement que la figure de la poupée russe marque le plus. D'où le mythe platonicien d'origine universelle, et plus précisément d'origine égyptienne et de tradition africaine (et non perse) : le sensible est partie intégrante d'un grand corps qui est le Tout ou l'Un. Cette tradition, Platon ne l'a pas inventée, tout au plus répétée avec son brio coutumier.
Le prolongement aboutit au mythe de l'englobement, selon lequel prolonger, c'est contenir. Le changement de conception et de représentation avec le néanthéisme, c'est que le prolongement devient enversion et que l'englobement devient le morcèlement indéfini. Dans le rapport transcendantaliste, la complétude existe, alors que dans le remplacement de la notion d'Être par celle de néant, l'incomplétude seul existe et explique pourquoi l'Être est aussi absent, aussi invisible, aussi inatteignable, aussi indéfinissable.
Dans le système transcendantaliste classique de type polythéiste, le changement n'existe pas ou n'est reconnu que comme quantité négligeable. Le même est l'espace de la divinité. Le changement est le signe que l'on se meut dans le sensible - et que l'on est antithétique à la divinité. Dans la mentalité polythéiste, le changement est tenu pour une dégénérescence : changer, c'est ne pas avoir accès à l'éternité, à l'absolu. Le changement est inclus dans l'éternité du même. La mutation du polythéisme en monothéisme ne rompt pas le transcendantalisme parce que le mécanisme du prolongement demeure. Selon ce mécanisme, le néant n'existe pas.
Le renversement monothéiste divinise à présent le changement de manière paradoxale : il s'agit de constater que le monde de l'homme s'est unifié et que le même correspond à la figure de l'homme unique. Le changement divinisé est une conception bigarrée et complexe, selon laquelle le changement est en même temps l'éternité. Du coup, l'on ne parvient plus à définir cette divinisation qui est unique et qui pourtant ne se révèle pas simplifiée. L'éternité du changement est contenue dans cette unicité. Quand le changement était multiple, il correspondait au sensible dégradé.
Quand le changement est expulsé hors du monde de l'homme, sa divinisation paradoxale correspond à la catégorie de l'impossible : l'unique est aussi le moins compréhensible. Du coup, la stabilité polythéiste passe pour une supériorité par rapport à l'unicité fin de règne (transcendantaliste) du monothéisme. En fait, autant l'avènement de l'instabilité monothéiste était nécessaire, autant elle constitue un progrès évident en ce qu'elle valorise enfin le changement et qu'elle permet une phase de transition du transcendantalisme vers le néanthéisme.
Dans cette grille de compréhesion, l'immanentisme n'est qu'une transition assez décadente et baroque, mais elle possède
aussi toute son importance. C'est elle qui offre la nouvelle clé vers l'espace en introduisant de manière déformée et erronée la nouvelle interprétation du changement : non plus le changement-prolongement, changement plus ou moins dénié; mais le changement-enversion, changement assumé.
L'homme est le seul être à changer. S'il change, c'est qu'il échange. S'il échange, c'est qu'il est en contact avec une autre dimension du réel que le simple fini ou sensible. Cette dimension de changement ne cesse elle-même de changer en fonction de l'état de changement de l'homme.
1) Quand l'homme est pluriel, le changement obéit au modèle de l'échange par prolongement. La limite de ce changement intervient quand le modèle du prolongement se révèle faux : quand le domaine du sensible et le domaine extérieur se rencontrent et qu'il coule de source que les deux sont divergents, le modèle du prolongement explose et se commue en modèle d'opposition ou d'affrontement antagoniste.
2) Selon ce modèle, le changement par prolongement s'inverse en changement par antagonisme. La croissance devient décroissance. Du fait de sa particularité religieuse du changement, l'homme peut seulement croître ou décroître. Il ne peut demeurer stable. Le mythe d'une décroissance harmonieuse et contrôlée est l'illusion suicidaire et autodestructrice.
Dans le fonctionnement du processus d'échange - ou changement, l'homme se trouve constamment en contact avec des dimensions du réel qui ne sont pas identiques, mais qui sont en contact les unes avec les autres. Le savant russe Vernadski a désigné un de ces états théoriques sous le nom de
noosphère. Soit l'homme intègre sans cesse ces dimensions du réel qui ne sont pas sensibles, soit il ne les intègre pas. Soit il échange, soit il n'échange pas. S'il les intègre, l'homme croît. S'il ne les intègre pas, l'homme décroît.
- Dans le modèle de la décroissance, l'homme est bloqué dans un certain type de réel, qui est le sensible et qui englobe l'ensemble du réel habitable. Le restant est du néant pur en tant que néant.
- Dans le modèle de la croissance, le réel est habitable et la croissance de l'homme est la seule manière de procéder à l'échange.

I) Transcendantalisme.

Le changement repose sur le prolongement de type inclusif. Le transcendantalisme est la reconnaissance de l'inclusion et du procédé de dépassement inclus dans l'inclusion.
Polythéisme : dualisme. On contacte le grand Tout dans le prolongement. On nie dans l'opération de prolongement le rôle du néant. Le polythéisme exprime le système transcendantaliste le plus authentique, le plus faible et le plus viable.
Monothéisme
: la Trinité apparaît car il manque le néant. Manque un lien entre la perfection et l'imperfection; entre la complétude et l'incomplétude. L'inclusion de l'incomplétude dans la complétude rend inaccessible voire incompréhensible la complétude. La complétude est trop ardue à saisir pour l'incomplétude - le tout pour la partie.
Le transcendantalisme discerne la croissance, mais se trompe sur sa définition : le prolongement/augmentation.

II) Nihilisme.

Le changement est dans la destruction et l'antagonisme. Changement rare et prévisible. Le changement s'obtient à partir de la destruction.
Immanentisme : nihilisme moderne. Monisme de l'absence de changement à partir d'une stabilité ontologique se reflétant dans l'oligarchisme politique.
Hegel essaye d'opérer la synthèse entre le monothéisme et l'immanentisme avec son
Aufhebung, qui surmonte de manière finie, dans un système statique et stable. Du coup, on obtient un dépassement éreintant et impossible, un effort titanesque à la Sisyphe.
Le nihilisme est en faveur de la décroissance au nom de la complétude impossible et de l'adhésion au néant en tant que néant.

III)
Néanthéisme.

Dépassement selon un rapport d'
enversion et de réflection, dans lequel le néant est antithétique au dépassement. Il ne s'agit ni de surmonter/synthétiser, ni de détruire/décroître, mais de croître/diminuer.
Comprendre que la croissance passe par l'incomplétude de l'enversion, pas par le prolongement.
Nouvelle définition de l'incomplétude. On ne surmonte pas pour changer; on diminue et on néanthéise. C'est l'erreur de Hegel et c'est l'erreur spécifique de tous ceux qui sont pris dans les rets de la mentalité immannentiste. Influencés par le prolongement transcendantaliste et par l'antagonisme immanentiste, ils essaient le plus souvent de faire la synthèse comme Hegel et de tomber dans le consensus : opposition, puis synthèse/prolongement.
La croissance vers l'espace passe par l'opération de l'enversion, qui aboutit à la diminution croissante. C'est ainsi que l'on continue à changer et à croître.

lundi 23 novembre 2009

L'incomplétude de Dieu va de pair avec sa faculté à créer l'ordonnation. "Dieu est incomplet" ne signifie pas que la création divine est une création mécaniste et programmée, à tel point qu'elle soit nécessaire et figée. Au contraire, la notion de création implique l'incomplétude comme seul vecteur et le fait que la complétude n'existe que dans l'incomplétude, comme l'infini n'existe que dans le fini.
La grande erreur est de nier la création et l'incomplétude et de décréter soit que la complétude n'existe pas, comme l'immanentisme; soit que de toute manière, la création n'existe pas.
C'est le parti nihiliste, qui possède des divergences internes, mais dont le point commun est de nier la création au profit de l'incréé. Dans cette optique, la grande question est la liberté. Selon les tenants du parti religieux classique, c'est la liberté qui régit le monde. Selon les tenants du religieux antithétique et minoritaire, le phénomène nihiliste, c'est la nécessité qui régit le monde. Il est remarquable de noter que la création va de pair avec la liberté, quand la nécessité postule l'incréation (dont l'immanentisme qui s'appuie sur l'ontologie spinoziste).
La création est le seul schéma théorique pour la liberté parce que la création est continue. Elle implique que tout soit ouvert à l'avance et que l'ordonnation se fasse à partir du principe d'incomplétude constant et continuel. L'incomplétude implique que la seule nécessité du réel est que le réel soit, soit qu'il y ait toujours de la présence.
Le débat entre nécessité et liberté ne serait pas possible si l'option de la nécessité était totalement aberrante. En fait, la nécessité existe, mais à l'état de nécessité de quelque chose. Par contre, la nécessité d'un réel unique, qui est l'option nihiliste, est totalement fausse, en ce que le donné nie l'incomplétude et affirme la complétude. C'est à ce niveau que l'erreur apparaît, car le problème du transcendantalisme est de déduire l'incomplétude sensible de la complétude englobante idéale; alors que le
néanthéisme grâce au reflet rend l'ancien Être complet - une puissance créatrice et incomplète.
De ce fait, il est plausible que l'incomplétude engendre la liberté créatrice continue, alors qu'il était difficile d'imaginer que la complétude parfaite engendre l'incomplétude libre. Objection qui sous-tend l'ensemble du monothéisme et que l'on retrouve notamment dans l'Islam, qui oscille entre le destin et la liberté.

L'analyse du même et de l'autre conduit à comprendre le schéma religieux classique, qui repose sur le processus transcendantaliste :
a) La première forme transcendantaliste est le polythéisme. Le dieu est le prolongement de l'homme. Dans un schéma où le socle identitaire repose sur la tribu, l'homme présente une image morcelée. La pluralité des dieux à l'intérieur d'une tribu, conjuguée à la pluralité des dieux renvoyant aux tribus extérieures, indique que les dieux sont à l'image de l'humanité plurielle. Le polythéisme traduit l'homme pluriel.
Dans cette mentalité, le même renvoie au divin. L'image de la sécurité, de la stabilité n'est pas de ce monde sensible, qui est le monde du changement et de l'autre par excellence. Cette opposition forme le socle du polythéisme. Contrairement à ce que la propagande monothéiste façonnera
a posteriori, c'est ce schéma qui est le plus solide et qui historiquement assure le plus de stabilité. Le monothéisme a duré deux mille ans, quand le polythéisme dure des dizaines de millénaires.
Il est normal que la divinisation de la stabilité engendre la stabilité du système religieux, sur lequel repose le système politique. L'identification du même au divin induit la stabilité de l'homme, qui assure la jonction entre le morcèlement instable et la stabilité divine. Alors que l'homme reconnaît que son expérience première et sensible l'emmène du côté de l'altérité instable, il en déduit que cette instabilité s'appuie sur la stabilité divine.
Le fait que le polythéiste déduise la stabilité de l'instabilité, le même de l'autre, montre que le fonctionnement de l'esprit humain repose sur l'idée de prolongement ou d'
englobement. A partir de l'instabilité, on déduit la stabilité, ce qui implique que la stabilité soit déjà présente dans l'instabilité, soit que l'instabilité participe de cette stabilité. Au niveau des panthéons, le pluralisme des dieux est dépassé par l'idée que ces dieux participent d'un même mouvement et que le dieu suprême est le symbole du divin unifié. Le polythéiste part de son expérience et la prolonge en l'universalisant. Le schéma le plus évident du transcendantalisme repose sur le polythéisme. Raison pour laquelle le polythéisme a duré si longtemps.
Le passage du polythéisme au monothéisme est progressif. On retrouve cette progression (non synonyme de supériorité) dans la constitution du judaïsme, qui est une religion et en aucun cas un peuple géographique. Le judaïsme instaure le dieu unique, mais le circonscrit à un peuple. On n'est plus dans le polythéisme, mais pas encore dans l'universalisation monothéiste. La transition juive vers le christianisme, puis l'Islam, indique que le judaïsme n'est pas un monothéisme véritable, sans que cette position d'entre-deux signifie l'infériorité du judaïsme.
L'avènement du monothéisme implique l'unification de l'homme, soit l'évolution de l'homme morcelé vers l'homme unique. Un seul dieu pour un seul homme - en somme. La marche de l'homme vers la conquête et la maîtrise du monde terrestre induit l'unification de l'humanité, soit la réunification des différences. Du coup, le sens se renverse à l'intérieur du polythéisme : l'homme unifié devient le garant du même quand c'est l'autre qui incarne le divin.
On demeure dans un schéma transcendantaliste car nous sommes toujours dans le sens du prolongement. Ce maintien transcendantaliste signifie que l'unification ne chamboule pas le mode de pensée du polythéiste mais le renverse. On peut expliquer le renversement dans le maintien par le fait que le transcendantalisme instaure le prolongement comme principe explicatif de l'incomplétude du monde.
b) Dans l'explication transcendantaliste, le sensible est incomplet parce qu'il appartient au divin. Ce principe est seulement renversé dans le monothéisme. Il n'est pas brisé. Le monothéisme renverse en les conservant les deux principes de prolongement/opposition du même et de l'autre. Du coup, le monothéisme est plus instable, car c'est l'homme qui incarne le principe de stabilité. Quant à la divinisation de l'autre, c'est la divinisation de l'instabilité. Le sens patine car il est très difficile de comprendre que le changement incarne le divin. La tentation est d'allier le changement avec la stabilité, une démarche oxymorique entre le même et l'autre.
Le sens se brouille. La raison pour laquelle le monothéisme dure si peu de temps en comparaison du polythéisme tient à ce principe d'instabilité qui est inscrit au cœur de son fonctionnement et au cœur du renversement transcendantaliste. Jamais le monothéisme n'a été capable de réconcilier la contradiction de son renversement entre le même et l'autre. Si l'on veut un exemple de cette contradiction insoluble, il réside dans la problématique de l'ontologie pré-socratique. Parménide et ses contemporains cherchent à expliquer la permanence en l'associant à l'autre.
Raison de leur questionnement harassé et raison pour laquelle le monothéisme chrétien accouche d'une trinité : il faut ajouter un troisième terme au schéma binaire du prolongement pour expliquer la difficulté de conciliation entre le même et l'autre. La limite du monothéisme s'arrête à l'unification du monde, soit au symbolique 1492. La limite du polythéisme est dans la tribu. La limite du transcendantalisme intervient au bout du monothéisme. Pourquoi cette limite de la Terre?
Le sens transcendantaliste est au bout de la Terre parce que le prolongement n'est plus possible au-delà. Le prolongement n'est possible qu'à partir d'une limite du sensible. Cette limite coïncide avec la Terre. Chez les polythéistes comme les monothéistes, la Terre n'est pas conçue comme tout à fait plate. Les représentations sont assez fluctuantes et ambiguës en ce qu'elles oscillent entre les deux conceptions depuis au moins l'Antiquité. Les découvertes scientifiques qui correspondent aux découvertes pratiques et théoriques du Nouveau monde participent du mouvement qui affirme la sphéricité de la Terre.
Cependant, le vrai changement intervient dans la représentation de la Terre au centre de l'univers. Selon les auteurs depuis Parménide, la Terre est plutôt ronde que plate. Mais elle est au centre de l'univers, notamment pour Aristote qui conçoit l'univers comme fini. C'est cette différence qu'il convient de noter. Tant que la Terre est au centre de l'univers (infini ou fini), comme chez les savants musulmans arabes du Moyen-Age chrétien, on demeure dans les limites du transcendantalisme. A partir du moment où l'on avance que la Terre est un point marginal et dérisoire de l'univers, on sort du transcendantalisme.
On découvre que le prolongement n'est pas valable - le sens sensible ne s'épuise pas avec la Terre au centre, mais qu'il commence avec cette partition. C'est ainsi que l'immanentisme naît, comme la découverte que le sens n'existe pas et que le sensible n'englobe pas la Terre. La fin du transcendantalisme coïncide avec la fin du sens lié au centre de la Terre.
Selon le transcendantalisme, le sens sensible est au centre de l'homme. Quand l'homme dépasse la terre, il dépasse le sens. Reste l'interprétation monothéiste selon laquelle le sens n'existe pas. L'homme est non plus le centre, mais la marge - la quantité négligeable. La destruction du même et de l'autre par l'immanentisme aboutit à l'opposition antithétique et non complémentaire du réel et du néant. Pour retrouver un horizon - qui soit celui de l'espace après la Terre, il faut créer une nouvelle opposition qui passe par le complément du néant positif et l'être ordonné.
C'est le rapport du reflet complémentaire. Le même est l'envers. L'autre est l'ordre. L'envers et l'ordre sont les deux axes complémentaires du néanthéisme qui succède à la grille de lecture du transcendantalisme. Dans le néanthéisme, la limite est l'espace. L'espace n'est pas l'illimité, mais la limite entre l'horizon humain et la complétude du réel. La complétude réside en termes néanthéistes dans l'enversion.
Nous avons trois modes de pensée. Chaque mode de pensée est attaché à un territoire physique :
1) le transcendantalisme : c'est le prolongement.
Le prolongement fonctionne avec la limite de la Terre.
2) l'immanentisme : c'est l'antithèse anti-complémentaire.
L'antithèse fonctionne avec la limite du fini.
3) le néanthéisme : c'est l'enversion.
L'enversion fonctionne avec la limite de l'espace.
A noter que l'immanentisme est démasqué comme nihilisme en ce qu'il est incapable de proposer une nouvelle limite mais qu'il propose une absence de limite et qu'il restaure l'infini illimité sous les termes du fini infini. L'
illimite va de pair avec l'antithèse. L'asensé va de pair avec la réfutation du complément. En ce sens, la limite du monothéisme est atteinte avec le symbolique 1492. Après cette date, c'est l'effondrement du transcendantalisme et son remplacement par l'immanentisme qui indique l'inutilité de la progression puisque au sein de l'infini, la limite explose. La limite, c'est le sens. Le sens explose.
L'absence de sens indique l'absence de limite. Après 1492, l'homme est occupé soit à se diriger vers l'espace et à préparer le remplacement du transcendantalisme par le néanthéisme; soit à régresser vers la domination destructrice de la Terre. L'homme se replie sur lui et décroît. C'est exactement le mouvement que nous observons et c'est ce mouvement que soutiennent les thuriféraires aveuglés et moutonniers du système immanentiste. Ils croient mimétiquement que la décroissance est la seule solution malthusienne à leur conception mécaniste et finie du réel; mais ils oublient que le vrai nom de la décroissance est le jeûne. Au bout d'un jeûne prolongé, c'est la mort qui est le terme.

vendredi 20 novembre 2009

L'ontologie classique tire deux couples célèbres : le même et l'autre; et son parent : la différence et la répétition. Je me méfie de l'usage immanentiste qu'un postmoderne minable et dégénéré, dont le surnom devrait être le Défenestré, a fait du couple différence et répétition. Dans cette acception/conception, d'une part, la différence indique une séparation violente, avec en son programme le déchirement de l'être à partir du néant - l'existence pure du néant; d'autre part, la répétition contient une action de répétition qui signe la redite. Cette action trouve sa correspondance dans l'Éternel Retour du Même de Nietzsche et dans l'apologie de la tautologie selon Rosset.
Le mieux est de repartir de la dyade même/autre. Derrière cette association, Platon entrevoit l'Un, soit la réconciliation de l'Être ou la présence de Dieu. Dans l'histoire du transcendantalisme, l'homme qui naît au monde en Afrique (probablement autour de la région des Grands Lacs au Kenya) ne procède pas au même comme à la répétition. La répétition contient une impression de redite ou de réitération qui envisage l'éternité sur le mode du néant pur. C'est un schéma nihiliste qui s'exprime. La différence n'est pas l'autre. La différence implique l'arrachement au néant, soit le lieu de l'être pur.
Le même signifie la permanence, notion qui diffère de la répétition. La répétition est une forme obsessionnelle et maniaque du même. Le
même indique l'unité. Comment? Par la ressemblance. Loin de la répétition, l'ontologie classique se trouve dans la ressemblance. L'éternité est perçue comme cette ressemblance qui accouche de l'unité. L'autre dénote la différence et la distinction. A partir de quoi? A partir du même, soit de la ressemblance. Nous avons une différence immanentiste qui est arrachement, soit manque de distinction; quand la différence classique est marque de distinction, soit dédoublement à partir de l'un référence.
Selon le schéma ontologique qui est un schéma religieux, un amoindrissement rationnel du religieux, l'explication de l'autre à partir de l'un contient une contradiction : si l'autre est contenu dans le même, ainsi que le clame Platon à la suite des prêtres polythéistes égyptiens, les opérations internes de distinction deviennent inexplicables. Qu'est-ce que cet un qui a besoin du deux pour être - un? L'explication du prolongement est insuffisante puisque l'unité est suffisante - à elle-même.
Dans cette optique, l'interprétation ontologico-religieuse de Simone Weil est surtout totalement pénétrée de mysticisme immanentiste : le sensible dégénéré qui serait un prolongement de l'Être est tout à fait inexplicable. Elle est une déformation de la doctrine ontologique tirée du polythéisme, mais surtout une représentation aussi simplifiée qu'aberrante de l'ontologie antique, comme une inscription immanentiste inscrite dans l'espace newtonien.
L'analyse ontologique montre assez que l'ontologie est le discours rationnel qui prétend surmonter le religieux en le reprenant dans les grandes lignes. L'ontologie naît avec les balbutiements du monothéisme, notamment en Égypte. L'ontologie n'est jamais qu'une sous-branche du religieux. Le religieux ne s'embarrasse pas avec le sens de sa démarche. Le religieux marche. Il donne sens. L'ontologie donne le sens du sens. Elle donne moins sens.

lundi 16 novembre 2009

Quand tu crois, tu croîs.

La grande question
néanthéiste, c'est d'expliquer le changement. On a le choix entre trois changements : croissance, stagnation et décroissance. Le changement consiste à changer de monde, soit à inclure du néant dans le sensible. L'échange est soit constructeur, soit destructeur. Il détruit quand il décroît. Il croît quand il construit. En aucun cas, il ne saurait demeurer stable, sauf à changer de structure du réel. L'échange est l'humanisation du néant, quand la destruction est le non humain. Le changement est la transformation du néant en ordre - l'ordonnation. L'ordre est stable seulement quand le changement est inexistant. Le changement intervient par rapport au mécanisme de l'ordonnation. Celui qui change est celui qui taille le néant en morceaux d'ordre. Le changement est la sculpture de la pierre brute vers la statue. Le changement est création, innovation, inspiration. Les Anciens ignoraient l'origine des Muses. Le néanthéisme la dévoile : le nouveau surgit de l'ordonnation. Le nouveau surgit de la formation des formes. Le nouveau est l'ordonnation de la violence, soit la construction de la destruction. C'est à partir de ce mécanisme que s'opère le changement. Quand le mécanisme est efficient, le monde de l'homme croît. Quand le mécanisme est déficient, qu'il passe de l'ordonnation au chaos pur, le monde de l'homme décroît. D'où l'importance de la croyance : croire, c'est croître.

samedi 14 novembre 2009

Qu'est-ce qu'un dieu? On tend à entretenir la relation entre les dieux et les hommes dans un sens exclusif et unique, dans la perspective du divin vers les hommes. C'est le sens inverse qui convient : le divin existe par les hommes. Il ne s'agit en aucun cas d'arriver à des conclusions comme les matérialistes, pour qui si ce sont les hommes qui ont créé le divin, c'est la preuve que le divin n'existe pas. Au contraire, c'est la preuve que les dieux existent. Les hommes ont utilisé les dieux pour manifester qu'ils ne sont pas seuls dans l'univers et qu'ils portent en eux quelque chose qui indique l'existence de principes dans l'être expliquant plus que l'être - le réel.
Si les dieux sont adorés, c'est que l'homme sait qu'il appartient à d'autres corps et d'autres mondes. Ce que Platon répétait, il le tenait d'antédiluviennes traditions, antérieures à l'Égypte, des traditions africaines qui remontées par le Nil tirèrent leur source des premiers Empires, comme le Zimbabwe ou le Soudan (bien avant l'Inde dravidienne ou Sumer). Selon ces traditions, le cosmos est un corps, comme le corps humain contient d'autres organismes. La structure de l'univers est organisée en poupées russes, dans un cycle d'emboîtements et d'inclusions indéfinis.
Les dieux permettent à l'homme de faire sens. Sans les dieux, l'homme détruit le sens et disparaît. C'est le triste spectacle auquel nous assistons aujourd'hui. Alors que l'homme immanentiste devrait produire d'autres dieux et d'autres formes religieuses, pour surmonter sa crise religieuse, il proclame avec démesure qu'il a surmonté le religieux et que les dieux sont une perte de temps et une illusion. En surmontant les dieux, l'homme se condamne à se surmonter. Il se damne, fier de sa démesure.
Les dieux sont ces créatures supérieures qui donnent sens au monde de l'homme. Le divin est le reflet de la représentation humaine. Quand les hommes vivent de manière morcelée et tribale, c'est le polythéisme qui retranscrit la représentation humaine du réel. Les multiples dieux reprennent les multiples types d'hommes. Quand les hommes tendent à se réunir sur la surface du globe terrestre, le dieu unique remplace les dieux multiples. Le monothéisme est l'expression de l'unification de l'humanité.
La représentation du divin suit la représentation que l'homme a de lui-même. Quand l'homme présente une vision morcelée, la vision des dieux est morcelée. Quand l'homme tend vers l'unité, la vision de l'homme est unifiée. Ce que le monothéiste perçoit comme un dépassement ultime, un conclusion indépassable, son monothéisme n'est qu'un stade dans une conception limitée et définie. Contrairement à l'opposition courante entre polythéisme et monothéisme, les deux sont des sous-courants reliés et interdépendants, qui appartiennent au transcendantalisme.

vendredi 6 novembre 2009

Le temps pose la question de la simultanéité. Le temps est ce qui brise l'unité et établit le morcèlement. Si le temps morcèle, s'il enroule l'unité du réel sous la frise indéfinie du devenir, c'est qu'il est la limite en tant que la limite indique la présence du néant au cœur du réel. Le néant au cœur du sensible montre que les deux formes théoriques n'existent jamais à l'état pur et qu'elles sont toujours sous une disposition mêlée. La question est de savoir si le temps définit le sensible comme un état de réel morcelé qui expurge la grande partie du néant vers l'extérieur du sensible - ou si le temps exprime autre chose qu'une purge, un processus comme l'infinie réduplication des parties. Je penche pour la deuxième solution. Platon explique que nous appartenons à un grand corps, dans une organisation indéfinie de poupées russes.
La métaphore, comme toujours chez Platon, est aussi passionnante que parcellaire. Elle laisse un goût d'inachevé et ne résout pas le problème. Il est vrai que Platon l'emprunte aux mythes égyptiens (et non à la tradition perse/indienne, comme une certaine tradition colonialiste aimerait à insinuer). Nous ne pouvons pas instituer des formes communistes de morcèlements, qui égaliseraient chaque partie morcelée du grand tout. L'autre drame est que plus on progresse dans la hiérarchie des morcèlements, plus la représentation du réel s'unifie et prend forme. Nous pouvons estimer que les morcèlements inférieurs à notre état sont moins conscients du réel que nous le sommes et que les morcèlements supérieurs à notre état le sont davantage.
En même temps, nous n'avons pas conscience que l'unité du réel existe et qu'elle n'est pas concevable pour des parties - malgré ce schéma de progression. Nous avons conscience de cette unité par le fait qu'elle imprègne chacune de ses parties. Imprégnation qui est partielle mais qui n'en est pas moins. Il n'est pas possible de percevoir cette imprégnation comme toujours égale, sans que cette inégalité soit une hiérarchisation cohérente. Le mystère du temps indique que l'ordonnation est partielle et qu'il est nécessaire que la complétude du réel se fasse par l'adjonction d'autres morcèlements au morcèlement ordonné.
Cette indication d'incomplétude émise par le temps est le signe que l'incomplétude n'est pas complétée par le complément de néant pur, mais par le complément d'infinités de morcèlement. Ce qui fait qu'une forme de répétition plane sur la structure du réel est qu'il n'existe jamais indépendamment de notre condition tronquée de réel à l'état pur. Cette unité existe, mais pas indépendamment de ses parties morcelées. En tant qu'unité, le réel est une structure tout à fait simple. Cette simplicité tient dans ce qui est le reflet, soit l'un découlant de deux formes hypothétiques et théoriques, le néant et l'être.
S'il n'est pas possible pour la partie de passer du deux au un, c'est parce que l'un n'existe pas sans le morcèlement. La découverte tragique de l'illusion de Dieu est fausse en ce que Dieu existe, mais Dieu existe en plus de l'ensemble de ses parties - comme une forme qui n'existe pas indépendamment de ses parties. Le sentiment grisant et vague d'appartenir à Dieu est contenu dans la vision religieuse. Si l'un n'existe qu'à l'état de deux, soit de démultiplication constante et indéfinie, alors le temps est la limite de ces démultiplications. L'unité de notre monde, de ce sensible qui est infini et homogène, est déjà imbriquée dans la multiplicité, puisqu'il serait simpliste de tenir le monde de l'homme pour constitué par seulement un seul morcèlement. Les morcèlements s'entrecroisent et se chevauchent.
Le temps indique les mondes auxquels nous n'avons pas accès du fait de notre limite qui est contenue dans notre expérience parcellaire du réel, de ce que nous appelons le sensible. L'expérience de la réduplication de l'infini dans les mondes indique ce qu'est l'infini : le reflet qui permet au réel de ne pas être mécaniste ou matérialiste (et qui indique le mensonge et la fausseté de ces considérations réductionnistes). L'infini est présent dans chaque monde morcelé par le morcèlement, ou toute autre signe d'incomplétude et de fractionnement, parce que l'infini complète chaque ordonnation incomplète, chaque partie du mouvement de réflection. Aucune parcelle de réel ne contient seulement l'un ou l'autre des deux états à l'état pur, ce qui explique pourquoi la pureté est si dangereuse et si trompeuse (elle donne l'impression d'unité).
La mort est le retour de cette forme de néant que l'on retrouve dans le temps. La mort est de ce point de vue la cousine du temps. La mort insinue que notre condition est incomplète et qu'il n'est possible d'atteindre à la complétude qu'en mourant. Selon la structure du réel, nous passons d'un morcèlement à l'autre après notre mort. Le néant n'existant pas, la peur du néant que nous avons n'est qu'en partie justifiée. Il s'agit bien de la peur du néant, mais d'un néant particulier en ce que nous avons surtout peur du changement.
C'est ainsi que nous tombons sur une certaine croyance en la réincarnation, à cette différence près que la réincarnation implique une opération immanente à ce monde sensible. Dans l'expérience de la limite néanthéiste, la réincarnation ne s'effectue jamais dans l'immanentisme, mais dans la dynamique du reflet, dans un rapport perpétuel et permanent d'enversion.
On ne se réincarne en fait jamais puisqu'on change continuellement d'état de morcèlement, de dimension et que le passage s'effectue vers d'autres états qui ne sont jamais le tour, mais chaque fois des parties. La réincarnation est de la dérivation perpétuelle. Le changement signale la dérivation des états finis, soit l'adjonction de néant dans la permanence d'un certain ordre. Que l'ordre ne soit jamais immuable montre son incomplétude et le fait que le changement n'est que l'ajout d'un complément nécessaire à la poursuite du morcèlement, mais insuffisant à l'état d'éternité.
Cependant, il convient de finir cette longue note par une précision d'importance : Dieu existe indépendamment de cette structure toujours morcelée et partielle. Dieu existe parce que l'unité existe. Dieu est cette unité. Bien entendu, Dieu sera à jamais une hypothèse, puisque la définition de cette unité se dérobe constamment à la partie et au deux. Dieu existe en tant qu'il est le reflet, soit la réunion du processus de reflet. Dieu existe parce qu'il importe de comprendre que l'explication immanentiste de l'incréé est absurde. Tout au contraire est-il légitime d'indiquer qu'il est un processus de création, dont l'action créatrice est la figure métonymique ou le rappel religieux.
Simplement ce processus de création ne s'ordonne pas dans la perfection ou dans la complétude, mais dans le reflet ou l'enversion. Dieu est au départ l'incomplétude qui a besoin pour atteindre la complétude de ce processus d'enversion. Dieu a le pouvoir d'instaurer le reflet, non comme un acte tout-puissant et gratuit, mais comme l'acte qui lui permet d'atteindre à la complétude. C'est pourquoi il faut postuler à l'idée d'une existence de Dieu qui implique que les phases de réincarnation néanthéistes que nous ne cessons de connaître en tant que parties aillent de pair avec l'expérience de Dieu.
Ce mystère de la simultanéité de l'éternité, pour reprendre une extraordinaire et impressionnante intuition d'ordre théologique (la théologie étant toujours plus profonde que la philosophie), est explicable dans l'hypothèse néanthéiste, si l'on prend bien soin de rappeler que l'état de création est incomplétude et que le phénomène de Dieu dénote l'état d'incomplétude indépendant de l'état d'ordonnation où l'unité n'existe pas et où l'enversion gémellaire complète ce rapport.
Dans cette configuration, le temps n'existe pas. Il serait très déformateur d'expliquer que Dieu est l'état d'incomplétude antérieur à l'ordonnation. Dieu est le complément qui n'existerait pas sans son complément ordonné. Dieu est le père des jumeaux néanthéistes, mais un père qui ne serait rien sans ses enfants. Ainsi tombons-nous sur une conception de Dieu qui est complément et qui est incomplétude. Dans le transcendantalisme, le prolongement implique que le divin soit perfection. Dans le néanthéisme, le divin est imperfection. Il a besoin du réel et il n'est qu'une part du réel.
Si l'on voulait instaurer Dieu dans le temps, on oserait que Dieu précède le temps, mais si l'on comprend la simultanéité et la signification du temps, on comprend que Dieu est contenu dans le temps et que l'extraordinaire pouvoir de Dieu consiste à avoir suscité les mondes infinis et indéfinis pour compléter sa propre carence et pour assurer sa pérennité à jamais. Dans cet ordre, il coule de source qu'une part de nous ressortit du divin, comme il coule de source que ce que nous percevons de nous actuellement n'est jamais que la partie tronquée et morcelée de ce que nous sommes.
Nous sommes une partie du réel qui ne se réduit pas à son expression sensible mais qui existe dans toutes les parties morcelées de ce réel. Notre principe de simultanéité implique que notre présence au sensible ne soit qu'une partie de notre présence au monde en tant que notre présence est morcelée; et que notre présence morcelée soit aussi présence à Dieu.
Qui est Dieu? Le père des jumeaux est celui qui n'est pas morcelé - les parts de morcelé recèlent leur part d'unicité. Cette définition de Dieu est la définition de l'unité, dont le propre n'est pas d'être l'intégralité, mais d'être la dimension non morcelé du réel. A cet égard, il n'est pas envisageable de réduire le non morcelé à une représentation statique et parcellaire. Le domaine du divin s'exprime en termes de dimension dynamique. Il est l'incomplet qui en tant que non morcelé présente un rapport de simplicité et d'unicité avec chacune des parts morcelées.
Il est dans un rapport dynamique avec le réel qui le rend indépendant du réel tout en l'intégrant dans son champ. Cette conception dynamique explique que la représentation chronologique d'antériorité ne convienne pas pour qualifier un rapport de simultanéité et d'incomplétude.

mardi 3 novembre 2009

Dans le processus d'ordonnation néanthéiste, la question que l'on peut poser, c'est : les processus d'ordonnation sont-ils identiques ou divergent-ils de manière croissante? Selon la deuxième hypothèse, notre condition sensible qui ignore le néant indique que nous nous mouvons dans un morcèlement particulièrement ordonné. Le changement d'un morcèlement vers un autre, qui correspond à un changement de dimension, pourrait tout aussi bien déboucher sur des morcèlements plus que moins ordonnés. Laissons là des hypothèses qui pour spéculatives n'en demeurent pas moins passionnantes. Les morcèlements ne sont pas indépendants, mais au contraire s'interpénètrent. C'est ce qu'a compris le scientifique Vernadski avec sa théorie de la noosphère. De ce point de vue, l'interdépendance des états impliquent que les états de morcèlement ne soient pas identiques, mais qu'ils croissent en fonction de leur rapport à l'état de réel. Plus on est dans le décroissant, plus on se situe proche du sensible, soit de la partie la plus évidente de l'ordonnation. Plus on croît, plus on s'approche de l'unité - plus on croît, plus on a accès au néant. Mais cet accès implique en même temps que l'on perçoive ce néant comme autre chose de différent du sensible et de complémentaire. Dans le processus d'ordonnation, on assimile le néant au chaos ou à la violence désordonnée. Sans estimer comme les nihilistes que le désordre prévaut, il est urgent de constater la complémentarité du désordre et de l'ordre. Le désordre engendre l'ordre, car le désordre pur n'existe pas. Le désordre engendre l'ordre : ce que l'on appelle violence n'est pas viable sans que cette violence accouche d'une forme d'ordre. D'où le morcèlement, le temps et la mort. Derrière cet état des choses, le néanthéisme ne peut aller au-delà du deux. Il est ce qui lie la partie au tout et qui fait évoluer le tout de la Terre vers l'espace. Il demeure à l'intérieur du deux transcendantaliste en conférant une dimension plus convenable aux besoins humains - toujours en évolution. Il identifie et détruit la prétention du nihilisme en particulier immanentiste à atteindre l'unité. Cette unité est fausse, mensongère et repose sur le véritable dualisme. Définir le réel d'un point de vue néanthéiste signifie : le réel est ce qui fait sens.
Quand il s'agit de donner une cartographie du réel, osons une approximation : le réel est le produit du réfléchissement indéfini entre deux approximations qui n'existent jamais à l'état brut - l'être et le néant. Le néant n'existe jamais à l'état de néant, quand le réel n'existe jamais de manière complète. Le réel est le produit de ces deux abstractions. De ce point de vue, quand on veut approcher notre condition d'être sensible, l'on a tendance à oublier que nous n'existons jamais à l'état exclusif d'êtres sensibles. Notre unicité d'individus morcelés n'est que la conséquence de notre immersion dans l'exclusivité du sensible. Platon reprenait l'idée des prêtres égyptiens selon laquelle nous sommes les parties d'un corps qui nous dépasse et qu'ainsi la structure de l'Être est celle d'un indéfini emboîtement à la manière des poupées russes. Il est vrai que la structure de raisonnement du prolongement encourage la projection de nos structures vers les microstructures qui nous composent comme vers les macrostructures que nous composerions. Dans la théologie chrétienne, qui reprend ce concept à ses devanciers polythéistes, on trouve l'idée d'une simultanéité de l'éternité et du temps, de l'instant qui dure et des instants qui passent. La divinisation de la différence se fait au nom d'une immobilité qui en correspond pas à la répétition (dont l'expression penche du côté du nihilisme). Quittant les rives du temps comme cercle, comme devenir ou comme sphère, nous voilà maintenant aux prises avec la conception néanthéiste du temps : le temps comme reflet. De ce point de vue, le remplacement de l'Être par le néant positif implique que le réel soit une succession d'ordonnations dont la finitude n'a de sens que dans une représentation ordonnée. La déconnexion entre une certaine ordonnation et l'ensemble du réel indique que le morcèlement passe pour le tout objectif : la partie morcelée croit vraiment que son morcèlement est le fondement alors qu'il n'est que l'expression du néant qui est toujours présent dans chaque processus d'ordonnation quoiqu'il ne soit jamais à l'état pur.

lundi 2 novembre 2009

Le temps est le complément infini du fini.

Pour poursuivre sur la notion de temps et de néant, au point qu'on pourrait proposer le pastiche
Néant et temps, le temps pose la question du réel. C'est une question religieuse. Dans un rapport transcendantaliste, le temps est inexplicable parce qu'on ne comprend pas ce processus de déroulement à partir d'une conception où le changement est secondaire. On nous explique que le sensible est la partie dégénérée de l'Être. Le temps serait ainsi comme le symbole inexplicable de cette dégénérescence. Le summum du mystère (dans un sens mineur et négatif) culmine avec les interprétations de Simone Weil qui finit par rendre le sensible inutile par rapport à la perfection de l'Être. Dans une optique néanthéiste, le temps est la figuration approximative et déformée du néant positif. Le sensible est une partie ordonnée du réel. Toute partie est fractionnée en donné ordonné. Le morcèlement exprime le mélange inextricable et rédupliqué du néant et de l'être au sein du réel.
Le mélange engendre des séparations infinies parce que le propre du néant est d'échapper à des catégorisations finies. Le processus temporel qui tend à créer un continuum linéaire selon les sens humains indique que nous ne percevons de la réalité que ce qui est ordonné par rapport à ce que nous nommons sensible. Le reste du réel, cette partie néanthéiste vaste et vague, se reporte en temps, soit en complément fractionné et multiple du sensible. Le temps est l'expression d'une limite, qui fait que nous sommes coincés dans une perspective qui nous interdit de comprendre que nous sommes des parties imbriquées dans d'autres parties - morcèlement à l'infini.
Ce que nous appelons instants est divisible à l'infini et ne vaut que par rapport à des conventions. Au fond, le temps est identique à l'espace et doit être approché en termes de morcèlements. Derrière le temps, c'est la question de l'infini qui surgit. Le déroulement du temps est l'inscription de l'infini dans le fini. Le temps est le complément infini du fini.
La limite infinie du fini est le temps - comme rappel et réduplication de l'infini. L'infini n'est pas le prolongement inexplicable de l'Être, mais l'
envers du sensible. Si nous ne parvenons pas à comprendre le temps, c'est à cause de cette configuration d'enversion. L'infini néanthéiste désigne l'indéfini réfléchissement des ordonnations entre l'ordre pur et le néant pur, qui tous deux sont des abstractions et des approximations commodes. La texture du réel n'est pas de l'ordre de la finitude d'un corps délimité.
Elle est dans la réciprocité du rapport d'envers. Le temps ne signifie pas la limite de l'Être, mais ce mécanisme de réfléchissement et le fait que pour donner sens au phénomène temporel, il faudrait sortir de la dimension sensible et maîtriser l'ensemble des jeux de miroirs qui morcèlent le réel en une myriade de dimensions. Le temps est une barrière qui nous signale l'existence de ces dimensions sans que nous puissions par nos sens rivés au champ sensible y accéder.
Nous sommes trop attachés à notre dimension pour effectuer une opération que seule la mort nous oblige à effectuer. De ce point de vue, le morcèlement indique que nous sommes à la fois l'ensemble des morcèlements et le morcèlement dans lequel nous sommes circonscrits. Le lien entre le sensible et les autres morcèlements est souligné par le temps comme limite. Nos expériences les plus intimes sont aussi les plus évocatrices de cette barrière qui indique la présence du néant : le temps, l'espace, la mort.

mardi 27 octobre 2009

Quand on entend Heidegger s'emporter que l'Être serait expliqué depuis le temps si le temps était expliqué; quand on réalise que jamais Heidegger n'explique l'Être ou le temps, on se dit :
- soit que Heidegger est un imbécile, hypothèse qui apparaît peu pertinente;
- soit que Heidegger use avec brio d'une mesure dépassée.
Heidegger a choisi durant un temps le national-socialisme pour endiguer la vague de nihilisme qu'il sentait monter. A cette erreur magistrale il a ajouté l'étude minutieuse de Nietzsche, qui avait annoncé le nihilisme qu'il portait en lui de manière tragique et aveuglée, tel un Œdipe. Jusqu'au bout Heidegger a refusé de désavouer ses options de jeunesse parce qu'il refusait de céder devant ce qu'il identifiait comme le nihilisme : la dérive démocratique, libérale, occidentaliste, laïque...
Heidegger n'a pas vu que les solutions qu'il avait un temps défendues, puis sa vie cautionnées, n'étaient que l'expression paroxystique et apocalyptique du nihilisme. Heidegger est l'Œdipe qui vient clôturer la métaphysique au sens où il est le dernier métaphysicien qui reprend la terminologie classique. Rosset identifie Heidegger à un cousin de Hegel, avec sa distinction Être/étant. Au juste, le vrai descendant de Heidegger est plus Aristote que Hegel : même incapacité à définir l'Être, même attachement aux rites oligarchiques et aux régimes politiques impérialistes...
Le savoir de Heidegger impressionnait tant qu'on le voyait comme le nouvel Aristote. Sans doute durant l'effervescence nazi le distingua-t-on même comme l'Aristote du Troisième Reich. Cette expression fait frémir parce qu'elle montre à quel point la métaphysique et l'ontologie se sont fourvoyées depuis leur apparition en Grèce. Quand j'emploie le terme de métaphysique, c'est pour évoquer le destin fascinant de ce terme par rapport à Aristote. Les propres recherches de Heidegger mènent bien entendu à l'ontologie primordiale que l'on désigne sous le vocable rapide de pré-socratique.
L'erreur de Heidegger est un faux problème au sens où la terminologie ontologique classique ne permet pas de rendre compte du problème que notre dernier des métaphysiciens pose. Heidegger ne peut résoudre le problème du temps par rapport à des outils conceptuels comme l'Être - et l'étant. Heidegger propose une solution typiquement nihiliste en abolissant la religion, qu'il dépasse par le recours suranné et impossible à l'ontologie. L'ontologie serait le couronnement définitif de la religion, alors que l'ontologie est une sous-branche rationaliste et en partie nihiliste du monothéisme balbutiant.
Un peu de sérieux. C'est dans le cadre du religieux que les pensées les plus profondes s'élaborent, car c'est le religieux qui produit la pensée véritable. Ce sont les religions qui ont proposé les plus pertinentes approches du temps : le temps cyclique est une proposition hindoue, quand les chrétiens renversent l'Éternité du même pour proposer une différence éternelle, dont les caractéristiques sont ainsi peu définissables et sans lien profond avec les sens humains.
L'instabilité du monothéisme rend la conception du temps tout aussi instable : toujours changeante, on finit par considérer que le changement est marque d'éternité, contrairement à un mot de Deleuze le postmoderne immanentiste de facture aussi terminale que mineure : "A la limite, il n'y a que la différence qui se répète". Dans une conception immanentiste, peut-être. Dans une conception monothéiste, l'éternité différentielle ne saurait se confondre avec le retour du même. Même si on éprouve les pires difficultés à définir l'éternité différentielle, la différence existe. Dans la mentalité monothéiste, pourtant, le temps se brouille parce que l'instabilité du renversement monothéiste empêche sa définition par rapport au changement profond de l'identité divine.
Dans un cadre géographique tribal, le temps est d'essence cyclique : il renvoie à l'éternité. Les mystères du cercle sont d'essence divine. Le temps monothéiste est un temps qui perd la boule et qui oscille entre la sphère et le mystère. Il perd en sens en s'unifiant. Il se brouille. Le temps nihiliste est un temps qui existe à l'état de processus linéaire et immuable, mais relativement au sensible. Raison pour laquelle Nietzsche rapproche le temps de l'Éternel Retour du Même et déclare pompeusement que le temps est une sphère dont la dimension supplémentaire dépasserait le cercle.
N'importe quoi de grandiloquent. L'immanentisme n'est pas capable de rendre compte du temps parce que sa conception du réel est fausse. Sa conception du temps épouse sa conception du réel. Si l'on veut la conception du temps la plus précise de l'immanentisme scientifique, que l'on consulte les travaux de Newton. Le néanthéisme permet d'éviter l'écueil du nihilisme en ce qu'il ne distingue pas un néant pur d'un sensible cristallin. En partant de la conception platonicienne du néant qui ne peut être qu'une forme de présence marginale, on corrige le tir (et l'erreur d'aiguillage liée à l'Être) en changeant la vision du prolongement.
On la remplace par l'enversion. Du coup, le néant passe de la marginalité sulfureuse à la reconnaissance. Le néant devient le remplaçant de l'Être à condition d'ajouter qu'il reprend de l'Être le concept d'existence positive. Dans le cadre du néanthéisme, le temps s'explique comme ce qui correspond à l'ordonnation. Le temps, c'est le fait que le néant qui correspond au positif ou à l'existence ne puisse jamais exister à l'état pur. Ce serait un schéma nihiliste. Le néant accouche nécessairement de l'être, étant entendu que le néant pur serait quelque chose comme le désordre pur et que l'ordre pur correspondrait à un fantasme comme l'Être.
Le néanthéisme permet d'expliquer le mystère du temps, qu'aucun schéma transcendantaliste ne peut expliquer, parce que le temps correspond à l'ordonnation. Le temps exprime l'incarnation du néant dans le sensible, soit le fait que le néant ait besoin de s'exprimer par le défilé des instants sensibles. Si nous pouvions défaire la texture des choses et aller au-delà de ce que nous expérimentons d'un point de vue de l'être, nous apercevrions le néant et l'unité de toute chose ferait disparaître le temps. Le temps est nécessaire à la présence du néant dans l'être.
Le temps est ce qui permet à l'unité de s'exprimer d'un point de vue nécessaire et sensible. Le transcendantalisme ne peut comprendre le temps parce qu'il est dans la prolongation. Le nihiliste ne peut comprendre le temps, parce qu'il est dans l'opposition. Seul le néanthéiste peut le comprendre parce qu'il a accès à l'enversion. Bien entendu, cette dimension nouvelle du temps comme ordonnation n'est qu'un aspect du temps, tant il serait démesuré d'estimer que le néanthéiste a accès à l'intégrale vérité et qu'il constitue la fin du sens. Loin de clôturer, il ne fait que prolonger - par l'envers.

Dieu est un, serinent les monothéistes. Comme cet un tend vers le deux, les nihilistes claironnent qu'il ne s'agit pas d'un véritable et que leur un est le vénérable véritable et retrouvé. L'un nihiliste, c'est l'être - immanent; l'un transcendantaliste, c'est l'un transcendant. Hélas, un examen des thèses nihilistes nous indique que l'un nihiliste est le dualisme véritable, soit l'opposition irréconciliable du sensible et du néant. A partir du moment où l'on postule que le réel est la totalité incréée sans définir ce postulat, on libère l'espace du néant. C'est Spinoza. Les nihilistes se montrent plus explicites à mesure que l'on remonte l'échelle de leur apparition. C'est Gorgias. Au risque de titiller les monistes que le deux insupporte, à l'image d'un Rosset, j'aimerais opposer le deux prolongement au deux antithétique. Le premier est un deux constructif, quand le second est un deux destructeur. Le premier est le deux du prolongement, quand le second est le deux du déni. Où mène le deux du déni, c'est évident. Par contre, le deux du prolongement mène vers sa reformation, à partir du moment où la définition de ce deux s'avère dépassé. Le prolongement est dépassé parce que le modèle religieux du monde-sensible ne correspond plus à l'expérience humaine. Il est temps de remplacer ce modèle par un modèle adéquat, qui est le reflet. Dieu est deux : deux est jumeau. Dieu est jumeau, au sens où ce que l'on nomme Dieu n'est ni l'un, ni l'autre, mais le produit de leur interaction.

jeudi 22 octobre 2009

C'est la limitation qui permet le changement. Quand on se meut dans l'illimité, on ne peut changer puisque la partie se trouve noyée dans l'infini. Tandis qu'avec la technique de la finitudisation, on finit par maîtriser l'ensemble délimité et l'on progresse. On change quand on contrôle et qu'on maîtrise. Face à cette constatation, la croissance est constitutive de la spécificité humaine qui consiste à limiter. Les mouvements de décroissance sanctionnent impitoyablement un déclin de l'homme, qui consiste à disparaître pour ne pas changer. L'homme s'enferme dans la limite qu'il refuse de dépasser et qui, s'il ne la dépasse pas, est un sclérose purulente. L'homme de la limite est ainsi condamné au changement pour perdurer. Dans l'histoire humaine, le transcendantalisme est une certaine conception de la limite : physiquement, la limite se finit avec l'horizon terrestre. Dans cette conception, c'est le prolongement qui fonctionne : l'Être comme prolongement de l'être. L'horizon du transcendantalisme se clôt avec la clôture du mode de fonctionnement du prolongement. La fin de l'horizon terrestre donne deux routes : la route croissante de l'espace - et la route décroissante du repli sur la Terre. Le deuxième choix est nihiliste : c'est l'immanentisme. Derrière les raisons vertueuses, pragmatisme et nécessité, se cache la disparition programmatique de l'homme. Le premier choix est néanthéiste : la seule possibilité de fixer une nouvelle limite qui semble universelle, totale et globale est de se diriger vers l'espace, de casser l'ancienne norme dépassée et de comprendre que le mythe de l'harmonie fixe et parfaite est le symptôme de la mort.

dimanche 18 octobre 2009

La question qui vient quand on considère le parcours humain, le transcendantalisme, puis l'impasse immanentiste, c'est : pourquoi l'homme change-t-il? Qu'est-ce qui explique le changement? Sachant que l'homme est le seul animal qui change, c'est une question qui vaut la peine d'être posée.
Au risque d'oser une provocation, je crois que ce qui explique le changement chez l'homme, ce changement constant et indéfini sans lequel l'homme se retourne contre lui-même et passe de la croissance à la décroissance, époque calamiteuse que nous risquons d'expérimenter dans les temps qui viennent, c'est plus le fini - que l'infini. L'homme est cet être qui a la connaissance du fini. On entend souvent dire que l'animal demeurerait quasiment à l'identique parce qu'il serait circonscrit au domaine du fini; tandis que l'homme aurait accès à l'infini et serait ainsi en constant changement.
Je crois que c'est exactement l'inverse : l'animal ne se meut que dans l'infini et du coup demeure dans un état identique; tandis que l'homme est le seul animal à connaître le fini, soit à effecteur l'opération consistant à poser des limites. Du coup, la confrontation constante des catégories du fini et de l'infini oblige l'homme à sans cesse progresser; alors que la connaissance exclusive de l'infini plonge l'animal dans un état de végétation ou d'immobilisme mental, étant entendu que l'infini est ce qui s'apparente a chaos, au désordre et à la violence.
L'opération mentale consistant à fonder une limite dans l'infini permet ainsi un progrès, une évolution, une
ordonation du réel qui est supérieure à celle stable et toujours identique que l'animal ordonne aussi à sa manière et suivant ses capacités. Du coup, la supériorité de l'homme sur les autres animaux est écrasante : il est capable de changement constant, ce qui fait que géographiquement il agrandit sans cesse son territoire et qu'il a accès à la sphère de la création.
C'est par la création de la limite et l'accès au fini que l'homme a accès à l'infini, soit au religieux. L'acte religieux est la spécificité la plus importante qui distingue l'homme des autres espèces animales. Si l'homme est l'animal religieux, c'est tout simplement parce qu'il est capable de limitation et que sa conscience est liée à sa faculté de
finitudisation. D'ailleurs, si l'on analyse ce qui fait la définition de l'acte religieux, il consiste non pas à évoquer l'absolu qu'à poser une limite à cet absolu comme horizon de l'homme.
C'est ainsi que le transcendantalisme est l'opération mentale qui consiste à circonscrire le réel aux portes de la Terre comme horizon humain. Le divin est ainsi l'opération qui consiste à donner à l'homme une cohérence et une représentation qui ne peuvent qu'être finies. Dans le cadre du polythéisme, le cadre se limite à l'horizon de l'homme pluriel. En gros, le polythéisme instaure un cadre religieux pour l'homme de la tribu. Quand l'homme dépasse cette limite par l'énonciation de cette limite justement, il passe dans la sphère du monothéisme, qui institue l'homme unique et la limite de l'homme à l'horizon de la Terre.
Nous sommes parvenus à cette limite avec la modernité symbolique de 1492. Depuis, c'est l'immanentisme qui a pris le pas et qui doit être de toute urgence remplacé par le courant religieux successeur du transcendantalisme (qui englobe le polythéisme et le monothéisme). Du coup, l'horizon du néanthéisme est l'espace, seul avenir possible de l'espèce.

samedi 17 octobre 2009

Si l'on veut comprendre l'inexorable marche de l'homme, l'homme est celui qui va sans cesse de l'avant, au sens où il agrandit sans cesse son territoire. L'animal (pour uniformiser toutes les espèces) n'agrandit pas son territoire. L'homme évolue sans cesse, comme l'illustre sa longue croissance. L'homme est la seule espèce à croissance continue. Croissance dans l'intervalle d'une vie humaine, mais aussi croissance qui se poursuit de générations en générations, par-delà les limites de la seule existence individuelle physique.
Cette originalité s'applique à l'apprentissage. L'homme est le seul animal à développer ses connaissances. D'où vient cette caractéristique qui fonde la supériorité de l'homme sur les autres espèces, à tel point que si l'homme demeure affilié à l'évolution, il n'est en même temps pas un animal au sens strict? Il est un animal doté de conscience, de savoir. Avant tout : de progression continue.
On a souvent tenté de définir de manière ultime l'homme comme l'animal religieux. De ce point de vue, l'homme change de système religieux à mesure qu'il accroît son territoire. Quand il est partagé en une myriade de tribus, il est polythéiste. Quand il tend à s'unifier, il vire au monothéisme. Cette évolution intervient depuis les débuts jusque vers l'époque moderne, ce qui constitue une période considérable et qui montre que la mémoire humaine contemporaine ne retient des péripéties de son espèce que les dernières bribes.
Depuis que l'homme a achevé son unification sur le globe de son apparition, il végète, il stagne. L'immanentisme se développe comme nihilisme. Le malthusianisme et l'eugénisme jumeau apparaissent comme horizons moroses et suicidaires (décroître au lieu de croître, l'inversion ou la perversion du sens). De cette constatation on peut inférer que le divin est la projection de l'homme, son image. Dieu conçu à l'image de l'homme : principe du religieux.
L'homme projette sur le divin son état dans le réel. L'homme partie de la Terre-Tout : c'est le transcendantalisme. A l'intérieur de cette mentalité, le polythéisme signale la pluralité des hommes, scindés en tribus. Le monothéisme intervient avec l'unification de l'homme. L'unification de l'homme se manifeste par la possession de la Terre. La fin du transcendantalisme intervient avec la fin du mystère de la Terre.
C'est quand la Terre cesse d'être l'ensemble plat pour devenir
une planète sphéroïde (à l'instar d'une kyrielle d'autres) que le transcendantalisme implose et que l'homme perd la boule - dans le nihilisme. Pourquoi le transcendantalisme est-il relié si étroitement à la Terre?
C'est que dans l'imaginaire humain, la Terre est l'incarnation finie du monde. Le monde de l'homme ne peut dépasser la Terre, car la Terre est le monde. On imagine la révolution de la Terre ronde et partielle (infime) : le monde de l'homme change, il explose. L'action transcendantale comme conception du religieux s'explique parce que Dieu ne peut que transcender à l'ensemble du monde terrestre qui est l'ensemble du monde physique.
Dieu vient après le monde sensible. Le monde sensible coïncidant avec le globe plat et totalisant, Dieu est ce qui transcende à ce monde. Il prolonge le monde total en le transcendant. Il donne du monde une image fausse en ce qu'il prolonge le fini intégral par l'adjonction d'un complément qui ne peut être que transcendantal. Le transcendantalisme est l'action qui prolonge et limite.

lundi 14 septembre 2009

Si l'on voulait définir le néant, on dirait qu'il correspond à ce que les Anciens nommaient le chaos. De la même manière que l'état de nature résulte de la séparation utopique et arbitraire d'un lieu physique qui ne connut jamais aucun état de nature effectif, de la même manière le néant pur n'a jamais existé. C'est en quoi le néanthéisme s'oppose au nihilisme. En quoi aussi Dieu est bien quelque chose - quand bien même il ne serait rien. La disparition de Dieu dans le nihilisme, sa fameuse mort annoncée par le fou Nietzsche sous les traits du fou allégorique, le fou par la bouche duquel sort la parole de sagesse, coïncide avec l'existence du néant positif.
Dans un système religieux qui fait la part belle au néant, l'existence de Dieu est impossible : Dieu ou l'absence. L'existence de Dieu est une expression pléonastique : Dieu désigne l'existence. La définition du chaos pur revient à un mythe, ainsi que nous en gratifient les Anciens avec le chaos originaire. L'étymologie de chaos renvoie à ce qui est grand ouvert. Le chaos est bien une utopie, soit véritablement un lieu qui n'existe pas. Le chaos sert à expliquer l'inexplicable, c'est-à-dire que loin de donner une raison à l'ordre des choses, il se contente de constater que l'inexplicable est la cause. Principe irrationnel qui explique à peu de frais, soit qui explique sans expliquer.
Reste le plus important : le néant pur est un mythe au sens où il dénote une impossibilité logique. Dans la mentalité antique, qui est une mentalité transcendantaliste d'obédience polythéiste, il est impossible d'admettre le néant, comme le hasard, mais il est envisageable de reléguer le néant vers l'origine mythique des choses. C'est signe à la fois que l'on tient le néant positif pour une utopie et qu'en même temps on reconnaît que le divin séparé du sensible ne peut occuper la totalité de l'espace.
Le néant se trouve ainsi affublé d'une place, qui est impossible, tout comme son statut. D'un côté, le transcendantalisme interdit au nihilisme tout droit de cité en en faisant le domaine de l'impossible; de l'autre, le transcendantalisme sent bien qu'il n'est pas capable d'expliquer l'origine des choses et il se contente de prendre en charge le réel existant en émettant un postulat indémontrable et aberrant comme principe d'explication non-explicatif.
Il reste une solution, désormais que l'on a enregistré la mort irrémédiable du transcendantalisme sous le terme monothéiste de Dieu : c'est l'hypothèse du néanthéisme. Le néanthéisme ne sépare pas arbitrairement le chaos originaire et le chaos présent, comme le font distinctement les Anciens (dépositaires de la mentalité transcendantaliste) et les nihilistes (spécifiquement les immanentistes). Le néanthéisme reprend à son compte l'hypothèse pénétrante de Platon, selon lequel, fidèle à l'enseignement des prêtres égyptiens, il ne saurait y avoir de réel que l'existence. Aucun néant positif n'est possible, au grand dam des sophistes, au premier rang desquels le savant Gorgias par exemple.
Platon examine dans le dialogue éponyme la théorie de l'ontologue Parménide. C'est dire que le néant est l'Arlésienne de l'ontologie d'origine éléate. Comme l'état de nature, le chaos n'a jamais existé. Il existe seulement à l'état composé ou hybride : le chaos et l'ordre sont inséparables. En langage métaphysique, le néant remplace l'Être, mais il demeure inséparable du sensible. Pourtant, le remplacement de l'Être par le néant permet d'expliquer la coexistence de l'être présent et
constatable avec un complément qui soit à la fois invisible et imparfait.
De ce point de vue, le néanthéisme ordonne un principe explicatif qui correspond mieux à l'état du réel depuis que les modernes ont bouleversé l'ordre de connaissance ancien. Ce dernier reposait sur l'idée que l'Être prolonge l'être : en particulier, l'être correspond à ce que nous revoient immédiatement nos sens. La destruction de cette théorie, qui découle principalement de l'aristotélisme comme codification définitive, engendre la désagrégation connexe de l'Être.
Le néanthéisme intègre la critique moderne débouchant sur l'immanentisme sans suivre les conclusions du nihilisme, qui déduisent de l'impossibilité de l'Être à l'existence du néant en remplacement. Si le néant existe positivement, il est impossible de mélanger l'être et le néant. C'est le modèle du dualisme nihiliste, qui est le seul dualisme véritable, au contraire de ce que tente de nous faire accroire la propagande nihiliste, en particulier emmenée par cet illuminé de Nietzsche pour la période immanentiste d'âge tardif et dégénéré.
Par contre, dans toute théorie religieuse du réel, la séparation de l'être et du néant à laquelle aboutit le néanthéisme parvient à confondre l'être et le néant, à les rassembler au sein du même réel. L'être incomplet se trouve complété par le néant, mais pas par opposition : par complémentarité. Autant dire que dans chaque parcelle de réel coexistent l'être et le néant. Cette coexistence gémellaire explique le caractère incompréhensible de l'être.
S'il est incompréhensible, c'est tout simplement parce que son complément est son envers, pas son prolongement limité. L'Être ne parvient pas à expliquer l'incomplétude de l'être, quand le néant intégré au réel y parvient fort bien. Ce néant explique au lieu que le nihilisme rend absurde. Dieu est sauvegardé dans le néanthéisme, mais c'est un Dieu dont l'unicité de type monothéiste se trouve révolue. Dieu n'est ni pluriel, ni unique, il est le jumeau du réel.
De ce point de vue, le réel se trouve compris entre deux modèles théoriques qui n'existent pas : d'un côté le néant positif, qui n'existe pas isolément; de l'autre, l'être purement sensible, qui n'existe pas davantage. Dieu est la réalisation de ces deux contraires, si bien qu'il serait peut-être souhaitable de comprendre Dieu sous trois formes : le modèle de l'être; le modèle du néant; et leur réunion existante. C'est toute l'idée d'existence qui se trouve ainsi revisitée à l'aune de ce qui apparaît par rapport au néant qui n'apparaît pas et qui pourtant est.

mercredi 9 septembre 2009

Partons d'un aveu de la transcendantaliste réactionnaire Simone Weil. Notre chrétienne juive de choc (ne manque plus qu'une conversion à l'Islam pour être monothéiste accomplie?) explique que le problème de l'Etre, qui chez elle ressortit d'une problématique monothéiste (de crise), est d'être trop plein plutôt que trop creux. En plein dans le mille! Dieu est improbable d'être parfait, non imparfait. Sur-existant; non inexistant. Si Dieu est parfait, quel besoin d'un supplément à la perfection? Dans Platon, le penseur rationnel emblématique du monothéisme balbutiant, la partition du réel est due aux carences de représentation de la partie. Le réel est Un, c'est la partie qui duplique et tronçonne. De ce point de vue, Platon illustre la mentalité transcendantaliste, selon laquelle l'imperfection est celle de la partie. La perfection est celle de l'Etre. Autant dire qu'il n'est pas d'imperfection à côté de la perfection, mais que l'imperfection naît de la scission de l'Un - en partie. L'Un et la partie sont indissociables, au sens où le sensible appartient au giron de l'Etre. Le seul problème est que l'Un sensible devient morcelé et partiel. Cet affaiblissement obvie de l'Etre, de Dieu, ou du divin indique tout simplement l'effondrement du transcendantalisme en cours sur plusieurs siècles.
Au temps du transcendantalisme sain, c'est-à-dire polythéiste, l'Etre est pluriel. C'est dire sa santé. On parle de dieux et non de Dieu. Le divin ne désigne pas le réel qui complète et excède le sensible. Il désigne l'ensemble du réel, dont le sensible est une partie. L'imperfection du transcendantalisme naît de l'effondrement de son modèle de prolongement et de limite. La limite est atteinte et l'homme moderne découvre avec effroi que le modèle métaphysique provoque des résultats physiques calamiteux. Le métaphysique qui s'effondre, c'est la mort du transcendantalisme, dont le monothéisme était la partie tardive et affaiblie (un seul Dieu signe l'affaiblissement du transcendantalisme, non son accroissement de vitalité spirituelle).
Par suite, le raisonnement de Weil est typique du décalage entre ce qui est passé et dont on refuse d'accepter le changement évident - et ce qui a changé est qui est : le monothéisme est passé et s'est commué en nihilisme. Pour dépasser la fin du monothéisme, Weil reprend à son compte la partition entre sensible et Etre. Evidemment, cette partition n'a aucun sens, puisque l'espoir du transcendantalisme consiste à postuler que le sensible est englobé dans l'Etre, alors que le nihilisme véritable débouche sur le dualisme antagoniste du sensible/être et du néant. Weil se contente de reprendre paresseusement ce schéma nihiliste en remplaçant le néant par l'Etre. Du coup, le dualisme antagoniste entre l'imperfection sensible et la perfection de l'être accouche d'une absurdité encore plus logique qu'ontologique.
L'absurdité de la représentation ontologique de Weil, qui consiste à proposer un savant amalgame (ou mélange confus) entre nihilisme et transcendantalisme, rappelle l'attitude paresseuse ou lâche de ces faux pacifistes qui pour éviter les problèmes et différer les conflits se mettent d'accord avec les avis contraires des deux parties et font mine d'enterrer la hache de guerre. Il a sans doute échappé à notre chrétienne de choc que sa position avalisait l'immanentisme et signait la mort irrémédiable et consommée du transcendantalisme. Quand on est d'accord avec tout le monde, on ne fait pas la paix, on prépare la destruction généralisée.
Ainsi va Weil qui s'éveille à la pensée dans la mesure où elle enterre la pensée. Heureusement, face au déclin du sens transcendantaliste, face à l'évidence que le sens de l'Etre est caduc, qu'il n'est plus possible de définir l'Etre, qu'un Heidegger n'y parvient pas malgré toute sa science, qu'un prophète comme Nietzsche annonce sous son masque le plus pénétrant (le fou) la mort de Dieu, il reste une solution pour poursuivre le religieux sans lequel il n'est plus d'homme - donc plus de culture. Cette solution, c'est le néanthéisme.
Il s'agit de prendre acte de la perte définitive de sens du nom Dieu et de remplacer ce Dieu/Etre par le néant. Pas le néant du nihilisme qui est l'opposé du sensible et qui mène au néant pour l'homme, soit à la disparition. Le néant religieux est l'envers du sensible, créant un rapport de gémellité et de va-et-vient indéfini. Ce néant appartient au domaine de l'existence, ainsi que le définit Platon. Selon Platon, le néant ne peut pas ne pas être. Selon l'immanentiste terminal Rosset, qui subvertit follement Parménide, Platon divague. Rosset explicite la distinction dualiste et nihiliste entre ce qui n'existe pas et ce qui existe.
Platon pensait en polythéiste qui s'ouvre au monothéisme. La grande préoccupation de Platon est de penser l'Un en relation avec la partie - l'Etre en relation avec l'être. Il est temps de comprendre que Platon a raison contre le nihilisme et avec la doctrine de l'Etre. Ce n'est pas Parménide que Platon trahit. C'est simplement que Platon prône une doctrine désormais dépassée. Pensons en termes religieux et n'oublions jamais que l'ontologie est une sous-branche du religieux. Le maître effectif et fantasmé de Platon, Socrate, fut condamné pour outrages religieux en premier lieu. L'explication fameuse et liée, la corruption de la jeunesse, montre assez que la destruction du religieux touche le renouvellement de la cité dans ses forces vives.
Justement, l'effondrement du transcendantalisme implique que le modèle est dépassé. Son remplacement par le nihilisme signale l'abîme : l'Etre remplacé par le néant. Le néant positif ne se développe en tant que conception homicide et mortifère qu'en cas de vacuité. Le néant est ce parasite qui ne s'installe que parce qu'il vient remplacer un manque ou un défaut - une carence. La limite de l'Etre est que le prolongement ontologique être/Etre ne suffit plus face à l'implosion du modèle classique sous les coups de buttoir de la science.
L'avènement du nihilisme sous sa forme moderne immanentiste n'est effectif que parce que la question qui remplace l'Etre est la question du néant. Pas le néant abordé sous l'angle nihiliste, soit la croyance dans le néant positif. La question du néant sous sa forme religieuse viable et classique. Seul moyen : prendre en compte la critique de Rosset et faire du néant le substitut de l'Etre.
Le bouleversement n'est pas ontologique. Il est religieux. Le néant existe en tant que quelque chose et en tant que complément de l'être. Le nihilisme est congédié par la production d'un néant défini du point de vue de l'existence. L'objection immanentiste ne tient plus. L'Etre de Dieu est remplacé par le néant de Dieu. La destruction de l'homme, fin immanentiste, est désamorcée pour un (long) temps. L'Etre dépassé par le néant, la démarche religieuse est sauvegardée. Elle mène l'homme à apprivoiser le néant, soit à se rendre dans l'espace, seul salut pour l'espèce.

mardi 8 septembre 2009

Le néanthéisme est l'expression du néant qui existe, soit l'idée que le réel est essentiellement constitué de néant. Comme l'Etre s'est effondré, le complément du sensible partial et partiel correspond à un rapport d'enversion, alors que le prolongement était inadéquat. Le néanthéisme reprend la conception du néant, mais la transforme en néant positif. Le nihilisme en prenant acte de la faillite du transcendantalisme a cru que son tour état venu et que le complément à l'Etre devenait le néant positif ou le néant pur. L'idée que le néant existe en tant que néant, c'est-à-dire qu'il n'existe pas, est incompatible avec les critères de la logique. Il est impossible que dans les conditions de l'existence, quelque chose qui n'existe pas existe. L'idée de néant positif est ainsi une contre-idée destructrice, qui ne doit pas faire oublier que le mérite du nihilisme est d'avoir, par sa folie et son erreur, ouvert la voie au néanthéisme. Fin du transcendantalisme, début du néanthéisme. Entre les deux, la pause nihiliste aura quelques (rares) bienfaits, dont il ne faudrait pas trop se féliciter. La première vertu du nihilisme est un vice : c'est de mener à la destruction - ce que le terme de néant indique comme un programme.

jeudi 27 août 2009

Avant d'introduire le principe du néanthéisme, un rappel succinct des deux principes qui meuvent le transcendantalisme :
1) l'on part du principe qu'il faut une prolongation;
2) l'on part du principe connexe qu'il faut une limitation.

Le néanthéisme propose simplement de définir le néant comme ce qui est. Par rapport au sensible qui est, le néant est - aussi. Dans le dualisme nihiliste, le néant n'est pas. Il n'est pas possible de concevoir le néant positivement sans mener son concepteur vers le néant qui l'aspire dans la mesure où il y aspire. Le néant positif est le centre de gravitation de la pensée nihiliste. Cette pense est incohérente. En réaction à cette pensée fausse et dangereuse, le transcendantalisme a opposé ce postulat inverse et fort : il n'y a que de l'Etre - que quelque chose. La question métaphysique : "Pourquoi quelque chose plutôt que rien?" résume cette pensée transcendantaliste. Quand le transcendantalisme s'est effondré, l'Etre s'est effondré. L'Etre est le concept central et explicite du monothéisme, mais il a toujours existé en régime transcendantaliste. L'Etre qui s'effondre, c'est le retour du néant. L'immanentisme moderne remet à l'honneur le nihilisme atavique parce que soudain le concept de Dieu/Être perd en netteté. Dieu monothéiste ou l'Etre ontologique et rationaliste sont une conception totalisante où le sensible est conçu comme partie. Pour compléter cette partie et tendre vers le tout, on dispose de deux solutions complémentaires :
1) on fait de notions comme le hasard des points de détail et des quantités négligeables;
2) on prolonge l'être sensible, qu'un Heidegger appelle les étants, en Être.
Selon le schéma platonicien, si le sensible est la partie, il n'est partie que parce qu'il est morcèlement du tout qui est l'Etre, soit son prolongement. L'effondrement de l'Etre signifie que le prolongement s'effondre. Pour que le prolongement s'effondre, il faut que la spéculation ontologico-métaphysique se soit évanouie sous les coups de buttoir de la science moderne. Quelle est la spécificité de la démarche moderne? Montrer que les conceptions monothéistes (et leur branche métaphysique) sont fausses dans le sensible. Donc si le sensible est une représentation fausse, alors le prolongement comporte des erreurs plus grandes encore.
La réhabilitation du nihilisme sous les traits de l'immanentisme découle de la rupture avec le prolongement être/Être. C'est pourquoi le néant a besoin d'une approche religieuse viable, étant entendu que le nihilisme est une religion perverse, tenant autour du déni (religion du déni de la religion). Le religieux néanthéiste suppose que le prolongement soit commué en complémentarité.
Le néant n'est pas l'inverse de l'être comme dans le nihilisme où le dualisme est exacerbé. Il en est l'
envers. L'endroit et l'envers sont les nouveaux pôles relationnels du néanthéisme, au même titre que le même et l'autre étaient les repères du transcendantalisme. Le même et l'autre impliquent que l'on se situe sur la même ligne du prolongement. Prolongement dont la donne la plus logique consiste à instaurer le même comme le domaine du divin.
Dans le néanthéisme, le rapport d'
enversion induit la complémentarité au sein du réel. On entérine la fin du prolongement, que l'on remplace par l'enversion. Reste à savoir si la deuxième grande caractéristique du transcendantalisme, la limite, est chamboulée à son tour. L'Etre se présente comme la définition de l'infini et de l'illimité dans la mesure paradoxale et compréhensible où il est justement limité.
La limitation de l'Etre se manifeste par le fait que l'Etre se trouve intégré dans le monde de l'homme. Pour que l'homme ait un monde habitable, viable, il a besoin d'un horizon qui dépasse son quotidien et ce qu'il peut expérimenter. L'idée de
gémellité remplace la finitude et lui donne une nouvelle tournure. L'infini comme expression finie était la seule possibilité de l'Etre prolongement. La gémellité crée l'idée d'un vis-à-vis ou d'un indéfini aller-retour qui crée les conditions de définition de l'infini. Le jeu de miroir ou le reflet indéfini sont les deux expressions qui viennent pour définir ce rapport qui se manifeste dans l'échange plus que dans les termes.
Venons-en à la suite du transcendantalisme. Le but n'est pas de survivre au monothéisme comme il avait fallu survivre au polythéisme. Le but est de survivre au transcendantalisme. Le nihilisme surgit parce que le transcendantalisme s'est effondré. L'ennemi n'est pas le nihilisme en tant qu'alternative cohérente et dangereuse. L'ennemi est le néant qui surgit comme bouche-trou comblant faussement quand aucun sens n'est présent pour y pallier. La pensée du néant n'est pas dangereuse en tant que telle puisqu'elle est faible face au sens et qu'elle n'est forte qu'en période d'absence de sens ou de sens déficient. Prenons acte de la mort du transcendantalisme et proposons en lieu et place une nouvelle pensée religieuse, au sens d'un courant. Je propose pour cette nouvelle forme de religieux le nom de nanthéisme. Néant-théisme :
- néant pour proposer en lieu et place du néant nihiliste un néant qui constitue une alternative religieuse et culturelle viable, à la suite du courant transcendantaliste;
- théisme parce qu'il s'agit de demeurer dans les limites du religieux en comprenant que le religieux excède de loin une religion. A ce sujet, le transcendantaliste se décompose en deux grands sous-courants, le polythéisme et le monothéisme, qui à chaque fois accouchent eux-mêmes de formes religieuses nombreuses et singulières, en particulier pour le polythéisme.
Maintenant que l'on a compris que le problème n'est pas le dépassement du religieux, mais le nihilisme, la fin du religieux, la destruction de l'homme, maintenant que l'on a identifié le nihilisme, le problème du nihilisme, la définition du nihilisme, la religion du déni de la religion, maintenant - nous sommes revenus au religieux. Et nous mesurons que si le nihilisme a connu son essor moderne sous la forme de l'immanentisme, c'est que quelque chose dans l'histoire des religions a cloché. Quelque chose s'est effondré. Quel grain de sable a pu enrayer une roue plus que millénaire - constitutive de l'essor humain? N'oublions jamais que la mentalité nihiliste a toujours existé et que le transcendantalisme est une réponse au nihilisme. Les premiers hommes ont très bien senti que face au néant l'avenir de l'homme était plié. Le transcendantalisme affirme qu'il n'existe pas de néant, que le néant n'existe pas du tout. Du coup, le transcendantalisme est allé trop loin, jusqu'au déni : il a au final instauré l'Etre, ce qui implique qu'il a toujours dénié la possibilité du néant. Tous les concepts autour du néant ont été réfutés comme des absurdités et des insultes. Le monothéisme n'est que la forme du transcendantalisme en fin d'expression, une forme qui se présente d'autant plus cohérente qu'elle signifie l'épuisement et la fin. En analysant le monothéisme et l'ontologie occidentale, on cerne ce qui s'est produit dans le transcendantalisme. Dès le départ, les notions de hasard, de nécessité, de matérialisme ont été bannis strictement pour éviter que la pensée maudite surgisse et précipite l'homme vers le gouffre : la pensée du néant. Reste à définir cette pensée honnie : le néant existe positivement. Tel est le nihilisme : la croyance dans le néant positif.

mardi 11 août 2009

Faire simple : mot de Rosset. Rosset est l'immanentiste de stade terminal qui pourrait très bien répondre au surnom pastiché de dernier des immanentistes. Proposer une alternative à l'immanentisme et comprendre que le transcendantalisme est moribond, deux constatations qui ne débouchent pas sur un projet philosophique. L'espace pour la parole philosophique s'est ouvert en Occident au moment où le polythéisme donnait naissance au monothéisme. Le transcendantalisme s'est adapté au changement de monde, qui voyait s'effondrer la tribu en même temps que s'ouvrait l'espace de l'homme.
La philosophie s'est emparée de la pensée à mesure que l'immanentisme gagnait du terrain et que les religions transcendantalistes consacrées s'effondraient au profit du nihilisme. C'est à un problème religieux que nous sommes confrontés. La vraie pensée est religieuse. Les problèmes d'identité et de sens ne donnent pas lieu à des spéculations savantes, mais à des intuitions religieuses. La philosophie aurait aimé reléguer la pensée religieuse au rang de science-fiction dépassée.
La philosophie signifie l'humanisation de la pensée. L'origine n'est plus le divin, mais une faculté humaine : la raison. C'est un coup d'État contre la pensée qu'a réussi la philosophie. La philosophie classique ne s'est développée qu'en marge de la religion. Dès le départ, la mise à mort de Socrate par le tribunal athénien laisse entendre la réalité : la philosophie menace la religion. Egalement : la figure de Socrate, le maître du vénérable Platon, est assimilée à ceux que Platon vilipende tout au long de son oeuvre, ceux à qui il oppose le moraliste génial et intraitable Socrate.
Aux yeux du tribunal athénien, Socrate est un sophiste. Les sophistes sont des nihilistes, Platon l'a assez montré. Mais sans doute la haine que Platon voue contre les sophistes, aussi méritée et déformée soit-elle, cache-t-elle à grand peine la vérité : que la philosophie a plus à voir avec le nihilisme qu'avec le religieux classique. Au départ, la philosophie se veut l'expression humaine et rationnelle du monothéisme. Il suffit de constater que Platon est considéré par Nietzsche lui-même comme l'inspirateur de la pensée
savante la plus proche du christianisme.
Par la suite, les métaphysiciens occidentaux peuvent être taxés à quelques exceptions près (dont Spinoza) de chrétiens. Certes, ils prétendent tous sortir de la religion et proposer quelque chose de supérieur. Mais c'est toujours par rapport au christianisme que les métaphysiciens s'opposent - et ils ne s'opposent qu'en proposant un christianisme rationalisé à outrance (ou hyperrationnel). Le modèle le plus comique est moins Hegel, ancien séminariste, que Kant, qui ne craint pas de proposer un Christ à la sauce Lumières, soit un Christ philosophique débarrassée de ses oripeaux religieux. Le Christ de Kant est le Christ de la Raison pure. Christ hyperrationnel.
Kant fait du christianisme en exacerbant le christianisme sous prétexte de la dépasser. La philosophie débouche sur un épuisement évident de la pensée humaine. Au moment où jamais la philosophie n'a été aussi respectée, admirée, de mode, au moment où l'immanentisme domine et où la philosophie est devenue explicitement le porte-parole de cette Raison mutante et hyperrationnelle, de ce nihilisme qui a remplacé Dieu par l'homme, c'est à ce moment que la philosophie sombre dans la faillite et présente le visage exsangue du moribond atteint d'un mal incurable.
La philosophie d'aujourd'hui oscille entre :
- la philosophie analytique, qui est l'expression contemporaine du scientisme,
- l'histoire de la philosophie, qui est répétition condamnée à l'appauvrissement impuissant,
- la propagande, qui est l'asservissement de la pensée au service de la politique la plus finie,
- l'expertise, qui fractionne la pensée et la rapporte au rang de savoir infinitésimal et périssable.
Pourtant, l'évidence coule de source : n'en déplaise aux philosophes dogmatiques et épris de rigueur, on peut penser en dehors de la philosophie. Plus gênant : la plus haute manière de penser est religieuse. A côté des chichis amphigouriques dont les philosophes nous gratifient
crescendo, la pensée religieuse est d'une simplicité lumineuse et limpide. Impossible de relire Hegel ou Heidegger sans s'arracher les cheveux ou se prendre la tête. Même le maître Platon, le roi de la philosophie, si l'on peut oser cette métaphorique référence à la cité idéale, est tellement plus complexe que la lecture d'un Évangile chrétien ou du Coran.
S'il est certain que la philosophie ne cesse de se compliquer à mesure qu'elle progresse dans le temps, le résultat marquant de ce progrès historique conduit à un jargon de plus en plus impénétrable avec le temps. En particulier après les Lumières. C'est alors qu'explose véritablement la mode de l'abstraction illisible, au moment où les philosophes prétendent achever une bonne fois pour toutes la philosophie.
On connaît la plaisanterie sur Hegel, selon lequel la Raison commence en Ionie et s'achève à Iéna. Ben voyons, mon garçon. Comment se fait-il que la faillite philosophique, qui commence par mêler la profondeur au charabia, et finisse en charabia sans profondeur, soit prise de tête pure et simple, de surcroît présentée avec perversité comme le retour aux sources de la clarté et de la sagesse, quand les paroles religieuses présentent une influence sans commune mesure avec les concepts philosophiques?
Quand on examine les influences culturelles des monothéismes, pour s'en tenir à ce courant religieux, on peinerait à trouver une influence comparable chez l'ensemble de philosophes majeurs rassemblés, mettons une trentaine depuis Platon. A quoi est due cette disproportion, qui plus est disproportionnelle à la simplicité? Plus la philosophie se montre compliquée (plus que complexe), plus elle perd en influence effective. Plus la religion fait montre de simplicité, plus elle gagne en influence.
Il serait vaniteux d'opposer la raison philosophique à l'intuition religieuse. Comme si la religion n'était pas grande consommatrice de raison et n'en faisait pas l'éloge, à l'exemple du monothéisme. Le mépris que voue la philosophie à la religion évoque le snobisme arrogant du parvenu, qui oublie d'où il vient et qui se croit au-dessus du commun parce qu'il a réussi socialement... Réussite sociale : réussite dans le champ de l'apparence, de l'immédiat et du fini.
La philosophie vient de la religion et n'est qu'une excroissance mineure et minoritaire du phénomène religieux. Du temps du polythéisme, on n'a pas de souvenir d'une indépendance de la pensée humaine par rapport au religieux. L'avènement de la philosophie en pleine époque monothéiste, et sur le terrain de l'Occident, montre que la philosophie est l'excroissance du monothéisme. La philosophie s'est développée à partir du moment où le transcendantalisme a perdu en stabilité, soit à partir du moment où le divin est devenu la différence.
L'instabilité a libéré l'espace de la pensée humaine par opposition à la pensée divine. La critique de la pensée religieuse, qui culmine chez le saint patron de l'immanentisme Spinoza, n'est possible que parce que cette pensée est fragilisée. Alors d'où vient la supériorité manifeste du religieux alors que le religieux fait plus simple et moins abstrait? Si ce n'est pas de la raison, la différence vient tout simplement du divin. La philosophie se réclame premièrement et prioritairement de la raison, point du divin.
Bizarrement, on passe sous silence les voix de Socrate, qui se réclamait de son démon pour expliquer ses intuitions. C'est que Socrate est un esprit religieux, mais que sa religiosité est ambigüe : sans être nihilisme à la mode sophiste, elle descend d'un patronage divin mineur, un démon aussi obscur qu'anonyme. La légende du démon de Socrate s'intègre dans une conception où les démons sont des esprits à la valeur pour le moins mitigée, souvent malfaisants, dans la Mésopotamie et dans le bassin méditerranéen.
Que le père de la philosophie soit en lien avec des esprits malfaisants en dit long sur la nature de la philosophie. Aristophane n'intégrait-il pas Socrate au champ des sophistes? Bien entendu, on peut affirmer que le divin est l'émanation d'une parole qui renvoie à une puissance toute-autre. Il n'est pas question de discuter ici sur la vérité de cette croyance. Après tout, quand on voit les réalisations qui découlent du phénomène religieux, on est confondu. A tel point que la fameuse expression de Marx concernant l'opium du peuple est plus à retourner contre les idéologies que contre les religions elles-mêmes. L'arroseur arrosé?
Marx est un des pères des idéologies et, à cet égard, phénomène toujours ironique de la projection, il parlait plus de lui que des autres. Marx fait très compliqué, car il montre à quoi aboutit la démarche philosophique commencée en Ionie : les idéologies comme résultats des idées rationnelles. Qu'est-ce que l'idéologie? C'est l'idée finie et applicable. Platon évoquait les idées infinies. L'on est à un point où l'on n'évoque plus que des ides finies. L'exigence d'application signifie que le monde de l'homme se limite au sensible. C'est une vision nihiliste du réel, dans laquelle l'infini se décompose en infini sensible (accumulation des choses) en en néant (déni du réel).
La philosophie est portée à n'accorder de valeur qu'au sensible, c'est-à-dire que le projet philosophique porte en son sein, dès Platon, le nihilisme dont il accouchera explicitement et de manière croissante à partir de Hegel. Heidegger en est à chercher l'Etre et à faire de grandes circonvolutions autour de la question de la métaphysique - à distinguer de l'ontologie. Heidegger verse dans l'irrationalisme au nom de la raison, ce qui est un paradoxe cocasse et savoureux.
Face à cette réalité de la philosophie, qui est l'expression pseudo-rationnelle du nihilisme et qui mérite d'être critiquée dès Platon, pas seulement depuis l'immanentisme moderne, revenons à la démarche religieuse. Le monothéisme représente le passage de la stabilité à l'instabilité dans le régime transcendantaliste. De ce point de vue, l'avènement de la philosophie est sensé combler l'instabilité par l'adjonction de raison dans le monde de l'homme. Mais la raison ne peut résoudre le paradoxe de l'Etre comme devenir.
De ce point de vue, les ontologues présocratiques comme Parménide recherchent l'Etre comme Même dans la mesure où ils aimeraient reconstituer le monde dont parle Hésiode et dans une moindre mesure Homère (lui qui met en scène par le voyage et la découverte le bouleversement du monde monothéiste). Cette bouffée de nostalgie ne prend pas en compte le caractère caduc du polythéisme. Le polythéisme ne fonctionnait que dans un monde de l'homme qui n'excédait pas la dimension de la tribu (identité extensible fort morcelée).
A partir du moment où le monde de l'homme s'unifie, le monothéisme est la réponse religieuse au changement du monde de l'homme. Telle est la spécificité du religieux : proposer une image du divin à l'image de l'homme. Le religieux est le phénomène qui relie le monde de l'homme au réel. Le divin est l'image du réel. Le principe du religieux considère que le divin est connaissable. C'est un principe rationnel ou un principe de connaissance : Dieu connaissable. Dans ce schéma, la spécificité de la raison n'est pas en cause.
L'appréhension de la raison seule débouche sur la réduction du religieux à une sous-catégorie de connaissance. C'est la définition que l'on donne à la raison qui est en cause. Si l'on s'en tient au sens philosophique, on pratique la réduction sémantique en ramenant la faculté de raison aux seuls pouvoirs humains. Le mouvement religieux suppose que l'on pratique la relation entre le divin et l'homme. Dans ce processus, l'homme n'est doué de raison que dans la mesure où le divin est doté de raison.
La correspondance entre l'homme et le divin est le vrai principe de compréhension dans lequel l'homme établit sa faculté de connaissance. On peut tout aussi bien appeler ce mécanisme intuition, au sens d'une faculté de connaissance générale du réel, qui ne s'arrête pas au fini. Le danger est que l'intuition porte en elle un certain mystère, voire un certain irrationalisme, qui éloignent le religieux de sa fonction première : l'identité du tout avec la partie.
L'usage de la raison humaine tend à couper ce lien. Le religieux manifeste la possibilité de ce lien. Connaître n'est rien d'autre qu'établir ce lien. Le lien. La connaissance n'est pas réductible à des découvertes scientifiques - aussi précieuses soient-elle. Il n'est pas de découverte scientifique sans une compréhension du réel qui passe par une théorie. Il n'est pas de théorie qui ne soit religieuse. La théorie philosophique comme supériorité théorique est une supercherie. Le philosophe est un surgeon du religieux, qui ne pousse que pour combler une certaine lacune, dans l'instabilité monothéiste qui découle de l'expulsion de l'autre vers la sphère divine.
Le polythéisme garantissait le principe de stabilité, quand le monothéisme ne sauvegarde la perpétuation du transcendantalisme qu'en instaurant une instabilité condamnée à dégénérer en nihilisme. Dès le départ, le nihilisme ressurgit dans le projet incomplet monothéiste avec la philosophie. Il ne s'agit pas d'interdire au nom du nihilisme la pensée, mais de constater que le projet d'une pensée exclusivement humaine est une imposture. La vraie pensée est religieuse. La pensée religieuse est simple, parce qu'elle relie l'homme au réel. La pensée philosophique tend vers de plus en plus de complications à mesure qu'elle se développe parce qu'elle coupe l'homme du reél. Il est temps de revenir à la pensée religieuse.