mardi 25 janvier 2011

Le réel est ce qui est infini et incomplet. Le mérite du nihilisme et son tort conjoint sont d'estimer que le néant est en n'étant pas. Mérite : révéler l'existence du néant, soit d'une réalité différente de l'être; tort : privilégier le principe de contradiction (ou l'irrationnel). Le nihilisme antique exprime le courant dissident du transcendantalisme. Sans doute ce courant s'ancre sur l'idée que le réel est le fini et que le fini n'est explicable que si l'on nie l'infini. Le nihilisme provient de l'idée que l'infini, c'est le néant. Son intuition profonde, c'est que le quelque chose est articulé sur une réalité qui n'est pas univoque ni homogène. A partir de là, il enchaîne sur un raisonnement (contradictoire et irrationnel) selon lequel l'infini, c'est le néant pur.
Autrement dit, les transcendantalistes présentent le néant comme l'Etre. Le seul moyen d'admettre le réel est que le réel soit fini. Selon cette conception, l'infini n'existe pas. C'est le néant. Le seul moyen de parvenir à la connaissance du réel est de postuler que le réel est fini et qu'il coexiste avec le néant. L'intuition de départ provient peut-être d'un savoir dégénéré portant sur l'épineuse question de l'infini (amalgame du réel et du fini) ou tout simplement d'une véritable intuition : que le réel est fini parce que l'expérience est finie, ainsi que l'explique crûment un Aristote. Le savoir d'Aristote provient du savoir perse, soit d'une tradition oligarchique d'expression mésopotamienne qui trouve son essor à partir de certaines traditions de l'Inde antique, bien avant les dix mille ans avant notre ère.
L'intuition selon laquelle le réel est fini s'articule à partir de la coexistence du fini avec le néant (soit la négation de l'infini de l'Etre). Cette coexistence est capitale : s'il est facile d'expliquer le néant pur comme le substitut irrationnel de l'Etre, le lien entre le néant et le fini est aussi assez évident : d'un côté, seule la finitude est compatible avec le néant (l'infini n'est pas compatible); de l'autre, le fini présente l'avantage épistémologique d'être connaissable, et même connaissable assez rapidement (un Aristote qui surgit juste après Platon oppose à l'infini dynamique l'idée selon laquelle il peut presque prétendre maîtriser l'ensemble du savoir humai, vu que le réel est fini).
Ce lien entre connaissance et réel fini est l'explication première au surgissement originel du nihilisme : face au scandale de la connaissance pénible et incertaine, le nihilisme propose une explication qui débouchez sur la certitude du savoir. Le principe d'incertitude rejoint le principe de contradiction : qu'il y ait contradiction explique pourquoi il y a incertitude. Le réel nihiliste est un réel dans lequel un Hegel réussirait à surmonter les contradictions, puisque ces contradictions s'expliquent par le chaos. Il suffit de surmonter le chaos et cette capacité pratique adoube (de manière initiatique selon un Nietzsche) les plus forts, dans un sens moins littéraliste que nietzcshéen.
La loi du plus fort est certes dépeinte par Platon, mais Platon est un satiriste qui montre quelle signification se trouve attachée à la loi du plus fort : le plus fort est le salaud de l'histoire. Mais cette loi du plus fort ne se présente jamais comme Platon l'a démasquée. La manière dont Nietzsche parle des plus forts en les associant aux artistes et aux créateurs est une manière plus séduisante (dans un sens sophiste et typiquement rhétorique) d'enrober l'implacable domination sous la forme de la création.
Cependant, pour parvenir à la certitude, on en vient à l'incertitude maximale. Le nihilisme ne parvient pas à lever la principale difficulté ontologique qui gît sous les principes de contradiction et d'incertitude : le fait que le réel ne se limite pas à ce qui est fini. L'incertitude désigne le caractère incomplet du réel comme ce qui n'est justement pas fini.
Le certain est le fini; l'incertain est l'infini. L'infini demeure énigmatique tant qu'on ne le relie pas à l'incomplet. D'une certaine manière, l'infini est même l'expression de l'incomplet. Quant à la contradiction, elle désigne précisément ce qui est fini. Dans la doctrine d'Aristote, les choses sont multiples et différentes, précisément parce qu'elles proviennent du chaos. Quand Aristote appelle de manière très savante à respecter le principe de non contradiction, il ne le fait pas pour suivre l'infini - vu qu'il réfute l'infini.
Il le fait pour conférer au fini une méthode logique qui ne se déploie qu'à l'intérieur du fini. La logique est l'expression du savoir qui dépasse la contradiction par la domination. Dans la mentalité nihiliste, il ne s'agit jamais d'abolir le principe de contradiction, puisque le nihilisme suit le donné : le réel est donné comme l'être fini, le néant pur est donné comme l'explication à l'infini.
Il s'agit de dominer le principe de contradiction par la production de l'incohérence (du néant). On ne domine que dans l'aire finie. L'erreur théorique ontologique du nihilisme tient à estimer que le réel est univoque et homogène. Selon cette mentalité (seulement), on en arrive à estimer que l'apparence est le réel, que le réel est connaissable, que la certitude est envisageable, etc. Le transcendantalisme consiste à répondre aux allégations premières du nihilisme que le réel n'est ni univoque ni homogène, mais qu'il est englobant.

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