lundi 23 novembre 2009

L'incomplétude de Dieu va de pair avec sa faculté à créer l'ordonnation. "Dieu est incomplet" ne signifie pas que la création divine est une création mécaniste et programmée, à tel point qu'elle soit nécessaire et figée. Au contraire, la notion de création implique l'incomplétude comme seul vecteur et le fait que la complétude n'existe que dans l'incomplétude, comme l'infini n'existe que dans le fini.
La grande erreur est de nier la création et l'incomplétude et de décréter soit que la complétude n'existe pas, comme l'immanentisme; soit que de toute manière, la création n'existe pas.
C'est le parti nihiliste, qui possède des divergences internes, mais dont le point commun est de nier la création au profit de l'incréé. Dans cette optique, la grande question est la liberté. Selon les tenants du parti religieux classique, c'est la liberté qui régit le monde. Selon les tenants du religieux antithétique et minoritaire, le phénomène nihiliste, c'est la nécessité qui régit le monde. Il est remarquable de noter que la création va de pair avec la liberté, quand la nécessité postule l'incréation (dont l'immanentisme qui s'appuie sur l'ontologie spinoziste).
La création est le seul schéma théorique pour la liberté parce que la création est continue. Elle implique que tout soit ouvert à l'avance et que l'ordonnation se fasse à partir du principe d'incomplétude constant et continuel. L'incomplétude implique que la seule nécessité du réel est que le réel soit, soit qu'il y ait toujours de la présence.
Le débat entre nécessité et liberté ne serait pas possible si l'option de la nécessité était totalement aberrante. En fait, la nécessité existe, mais à l'état de nécessité de quelque chose. Par contre, la nécessité d'un réel unique, qui est l'option nihiliste, est totalement fausse, en ce que le donné nie l'incomplétude et affirme la complétude. C'est à ce niveau que l'erreur apparaît, car le problème du transcendantalisme est de déduire l'incomplétude sensible de la complétude englobante idéale; alors que le
néanthéisme grâce au reflet rend l'ancien Être complet - une puissance créatrice et incomplète.
De ce fait, il est plausible que l'incomplétude engendre la liberté créatrice continue, alors qu'il était difficile d'imaginer que la complétude parfaite engendre l'incomplétude libre. Objection qui sous-tend l'ensemble du monothéisme et que l'on retrouve notamment dans l'Islam, qui oscille entre le destin et la liberté.

L'analyse du même et de l'autre conduit à comprendre le schéma religieux classique, qui repose sur le processus transcendantaliste :
a) La première forme transcendantaliste est le polythéisme. Le dieu est le prolongement de l'homme. Dans un schéma où le socle identitaire repose sur la tribu, l'homme présente une image morcelée. La pluralité des dieux à l'intérieur d'une tribu, conjuguée à la pluralité des dieux renvoyant aux tribus extérieures, indique que les dieux sont à l'image de l'humanité plurielle. Le polythéisme traduit l'homme pluriel.
Dans cette mentalité, le même renvoie au divin. L'image de la sécurité, de la stabilité n'est pas de ce monde sensible, qui est le monde du changement et de l'autre par excellence. Cette opposition forme le socle du polythéisme. Contrairement à ce que la propagande monothéiste façonnera
a posteriori, c'est ce schéma qui est le plus solide et qui historiquement assure le plus de stabilité. Le monothéisme a duré deux mille ans, quand le polythéisme dure des dizaines de millénaires.
Il est normal que la divinisation de la stabilité engendre la stabilité du système religieux, sur lequel repose le système politique. L'identification du même au divin induit la stabilité de l'homme, qui assure la jonction entre le morcèlement instable et la stabilité divine. Alors que l'homme reconnaît que son expérience première et sensible l'emmène du côté de l'altérité instable, il en déduit que cette instabilité s'appuie sur la stabilité divine.
Le fait que le polythéiste déduise la stabilité de l'instabilité, le même de l'autre, montre que le fonctionnement de l'esprit humain repose sur l'idée de prolongement ou d'
englobement. A partir de l'instabilité, on déduit la stabilité, ce qui implique que la stabilité soit déjà présente dans l'instabilité, soit que l'instabilité participe de cette stabilité. Au niveau des panthéons, le pluralisme des dieux est dépassé par l'idée que ces dieux participent d'un même mouvement et que le dieu suprême est le symbole du divin unifié. Le polythéiste part de son expérience et la prolonge en l'universalisant. Le schéma le plus évident du transcendantalisme repose sur le polythéisme. Raison pour laquelle le polythéisme a duré si longtemps.
Le passage du polythéisme au monothéisme est progressif. On retrouve cette progression (non synonyme de supériorité) dans la constitution du judaïsme, qui est une religion et en aucun cas un peuple géographique. Le judaïsme instaure le dieu unique, mais le circonscrit à un peuple. On n'est plus dans le polythéisme, mais pas encore dans l'universalisation monothéiste. La transition juive vers le christianisme, puis l'Islam, indique que le judaïsme n'est pas un monothéisme véritable, sans que cette position d'entre-deux signifie l'infériorité du judaïsme.
L'avènement du monothéisme implique l'unification de l'homme, soit l'évolution de l'homme morcelé vers l'homme unique. Un seul dieu pour un seul homme - en somme. La marche de l'homme vers la conquête et la maîtrise du monde terrestre induit l'unification de l'humanité, soit la réunification des différences. Du coup, le sens se renverse à l'intérieur du polythéisme : l'homme unifié devient le garant du même quand c'est l'autre qui incarne le divin.
On demeure dans un schéma transcendantaliste car nous sommes toujours dans le sens du prolongement. Ce maintien transcendantaliste signifie que l'unification ne chamboule pas le mode de pensée du polythéiste mais le renverse. On peut expliquer le renversement dans le maintien par le fait que le transcendantalisme instaure le prolongement comme principe explicatif de l'incomplétude du monde.
b) Dans l'explication transcendantaliste, le sensible est incomplet parce qu'il appartient au divin. Ce principe est seulement renversé dans le monothéisme. Il n'est pas brisé. Le monothéisme renverse en les conservant les deux principes de prolongement/opposition du même et de l'autre. Du coup, le monothéisme est plus instable, car c'est l'homme qui incarne le principe de stabilité. Quant à la divinisation de l'autre, c'est la divinisation de l'instabilité. Le sens patine car il est très difficile de comprendre que le changement incarne le divin. La tentation est d'allier le changement avec la stabilité, une démarche oxymorique entre le même et l'autre.
Le sens se brouille. La raison pour laquelle le monothéisme dure si peu de temps en comparaison du polythéisme tient à ce principe d'instabilité qui est inscrit au cœur de son fonctionnement et au cœur du renversement transcendantaliste. Jamais le monothéisme n'a été capable de réconcilier la contradiction de son renversement entre le même et l'autre. Si l'on veut un exemple de cette contradiction insoluble, il réside dans la problématique de l'ontologie pré-socratique. Parménide et ses contemporains cherchent à expliquer la permanence en l'associant à l'autre.
Raison de leur questionnement harassé et raison pour laquelle le monothéisme chrétien accouche d'une trinité : il faut ajouter un troisième terme au schéma binaire du prolongement pour expliquer la difficulté de conciliation entre le même et l'autre. La limite du monothéisme s'arrête à l'unification du monde, soit au symbolique 1492. La limite du polythéisme est dans la tribu. La limite du transcendantalisme intervient au bout du monothéisme. Pourquoi cette limite de la Terre?
Le sens transcendantaliste est au bout de la Terre parce que le prolongement n'est plus possible au-delà. Le prolongement n'est possible qu'à partir d'une limite du sensible. Cette limite coïncide avec la Terre. Chez les polythéistes comme les monothéistes, la Terre n'est pas conçue comme tout à fait plate. Les représentations sont assez fluctuantes et ambiguës en ce qu'elles oscillent entre les deux conceptions depuis au moins l'Antiquité. Les découvertes scientifiques qui correspondent aux découvertes pratiques et théoriques du Nouveau monde participent du mouvement qui affirme la sphéricité de la Terre.
Cependant, le vrai changement intervient dans la représentation de la Terre au centre de l'univers. Selon les auteurs depuis Parménide, la Terre est plutôt ronde que plate. Mais elle est au centre de l'univers, notamment pour Aristote qui conçoit l'univers comme fini. C'est cette différence qu'il convient de noter. Tant que la Terre est au centre de l'univers (infini ou fini), comme chez les savants musulmans arabes du Moyen-Age chrétien, on demeure dans les limites du transcendantalisme. A partir du moment où l'on avance que la Terre est un point marginal et dérisoire de l'univers, on sort du transcendantalisme.
On découvre que le prolongement n'est pas valable - le sens sensible ne s'épuise pas avec la Terre au centre, mais qu'il commence avec cette partition. C'est ainsi que l'immanentisme naît, comme la découverte que le sens n'existe pas et que le sensible n'englobe pas la Terre. La fin du transcendantalisme coïncide avec la fin du sens lié au centre de la Terre.
Selon le transcendantalisme, le sens sensible est au centre de l'homme. Quand l'homme dépasse la terre, il dépasse le sens. Reste l'interprétation monothéiste selon laquelle le sens n'existe pas. L'homme est non plus le centre, mais la marge - la quantité négligeable. La destruction du même et de l'autre par l'immanentisme aboutit à l'opposition antithétique et non complémentaire du réel et du néant. Pour retrouver un horizon - qui soit celui de l'espace après la Terre, il faut créer une nouvelle opposition qui passe par le complément du néant positif et l'être ordonné.
C'est le rapport du reflet complémentaire. Le même est l'envers. L'autre est l'ordre. L'envers et l'ordre sont les deux axes complémentaires du néanthéisme qui succède à la grille de lecture du transcendantalisme. Dans le néanthéisme, la limite est l'espace. L'espace n'est pas l'illimité, mais la limite entre l'horizon humain et la complétude du réel. La complétude réside en termes néanthéistes dans l'enversion.
Nous avons trois modes de pensée. Chaque mode de pensée est attaché à un territoire physique :
1) le transcendantalisme : c'est le prolongement.
Le prolongement fonctionne avec la limite de la Terre.
2) l'immanentisme : c'est l'antithèse anti-complémentaire.
L'antithèse fonctionne avec la limite du fini.
3) le néanthéisme : c'est l'enversion.
L'enversion fonctionne avec la limite de l'espace.
A noter que l'immanentisme est démasqué comme nihilisme en ce qu'il est incapable de proposer une nouvelle limite mais qu'il propose une absence de limite et qu'il restaure l'infini illimité sous les termes du fini infini. L'
illimite va de pair avec l'antithèse. L'asensé va de pair avec la réfutation du complément. En ce sens, la limite du monothéisme est atteinte avec le symbolique 1492. Après cette date, c'est l'effondrement du transcendantalisme et son remplacement par l'immanentisme qui indique l'inutilité de la progression puisque au sein de l'infini, la limite explose. La limite, c'est le sens. Le sens explose.
L'absence de sens indique l'absence de limite. Après 1492, l'homme est occupé soit à se diriger vers l'espace et à préparer le remplacement du transcendantalisme par le néanthéisme; soit à régresser vers la domination destructrice de la Terre. L'homme se replie sur lui et décroît. C'est exactement le mouvement que nous observons et c'est ce mouvement que soutiennent les thuriféraires aveuglés et moutonniers du système immanentiste. Ils croient mimétiquement que la décroissance est la seule solution malthusienne à leur conception mécaniste et finie du réel; mais ils oublient que le vrai nom de la décroissance est le jeûne. Au bout d'un jeûne prolongé, c'est la mort qui est le terme.

vendredi 20 novembre 2009

L'ontologie classique tire deux couples célèbres : le même et l'autre; et son parent : la différence et la répétition. Je me méfie de l'usage immanentiste qu'un postmoderne minable et dégénéré, dont le surnom devrait être le Défenestré, a fait du couple différence et répétition. Dans cette acception/conception, d'une part, la différence indique une séparation violente, avec en son programme le déchirement de l'être à partir du néant - l'existence pure du néant; d'autre part, la répétition contient une action de répétition qui signe la redite. Cette action trouve sa correspondance dans l'Éternel Retour du Même de Nietzsche et dans l'apologie de la tautologie selon Rosset.
Le mieux est de repartir de la dyade même/autre. Derrière cette association, Platon entrevoit l'Un, soit la réconciliation de l'Être ou la présence de Dieu. Dans l'histoire du transcendantalisme, l'homme qui naît au monde en Afrique (probablement autour de la région des Grands Lacs au Kenya) ne procède pas au même comme à la répétition. La répétition contient une impression de redite ou de réitération qui envisage l'éternité sur le mode du néant pur. C'est un schéma nihiliste qui s'exprime. La différence n'est pas l'autre. La différence implique l'arrachement au néant, soit le lieu de l'être pur.
Le même signifie la permanence, notion qui diffère de la répétition. La répétition est une forme obsessionnelle et maniaque du même. Le
même indique l'unité. Comment? Par la ressemblance. Loin de la répétition, l'ontologie classique se trouve dans la ressemblance. L'éternité est perçue comme cette ressemblance qui accouche de l'unité. L'autre dénote la différence et la distinction. A partir de quoi? A partir du même, soit de la ressemblance. Nous avons une différence immanentiste qui est arrachement, soit manque de distinction; quand la différence classique est marque de distinction, soit dédoublement à partir de l'un référence.
Selon le schéma ontologique qui est un schéma religieux, un amoindrissement rationnel du religieux, l'explication de l'autre à partir de l'un contient une contradiction : si l'autre est contenu dans le même, ainsi que le clame Platon à la suite des prêtres polythéistes égyptiens, les opérations internes de distinction deviennent inexplicables. Qu'est-ce que cet un qui a besoin du deux pour être - un? L'explication du prolongement est insuffisante puisque l'unité est suffisante - à elle-même.
Dans cette optique, l'interprétation ontologico-religieuse de Simone Weil est surtout totalement pénétrée de mysticisme immanentiste : le sensible dégénéré qui serait un prolongement de l'Être est tout à fait inexplicable. Elle est une déformation de la doctrine ontologique tirée du polythéisme, mais surtout une représentation aussi simplifiée qu'aberrante de l'ontologie antique, comme une inscription immanentiste inscrite dans l'espace newtonien.
L'analyse ontologique montre assez que l'ontologie est le discours rationnel qui prétend surmonter le religieux en le reprenant dans les grandes lignes. L'ontologie naît avec les balbutiements du monothéisme, notamment en Égypte. L'ontologie n'est jamais qu'une sous-branche du religieux. Le religieux ne s'embarrasse pas avec le sens de sa démarche. Le religieux marche. Il donne sens. L'ontologie donne le sens du sens. Elle donne moins sens.

lundi 16 novembre 2009

Quand tu crois, tu croîs.

La grande question
néanthéiste, c'est d'expliquer le changement. On a le choix entre trois changements : croissance, stagnation et décroissance. Le changement consiste à changer de monde, soit à inclure du néant dans le sensible. L'échange est soit constructeur, soit destructeur. Il détruit quand il décroît. Il croît quand il construit. En aucun cas, il ne saurait demeurer stable, sauf à changer de structure du réel. L'échange est l'humanisation du néant, quand la destruction est le non humain. Le changement est la transformation du néant en ordre - l'ordonnation. L'ordre est stable seulement quand le changement est inexistant. Le changement intervient par rapport au mécanisme de l'ordonnation. Celui qui change est celui qui taille le néant en morceaux d'ordre. Le changement est la sculpture de la pierre brute vers la statue. Le changement est création, innovation, inspiration. Les Anciens ignoraient l'origine des Muses. Le néanthéisme la dévoile : le nouveau surgit de l'ordonnation. Le nouveau surgit de la formation des formes. Le nouveau est l'ordonnation de la violence, soit la construction de la destruction. C'est à partir de ce mécanisme que s'opère le changement. Quand le mécanisme est efficient, le monde de l'homme croît. Quand le mécanisme est déficient, qu'il passe de l'ordonnation au chaos pur, le monde de l'homme décroît. D'où l'importance de la croyance : croire, c'est croître.

samedi 14 novembre 2009

Qu'est-ce qu'un dieu? On tend à entretenir la relation entre les dieux et les hommes dans un sens exclusif et unique, dans la perspective du divin vers les hommes. C'est le sens inverse qui convient : le divin existe par les hommes. Il ne s'agit en aucun cas d'arriver à des conclusions comme les matérialistes, pour qui si ce sont les hommes qui ont créé le divin, c'est la preuve que le divin n'existe pas. Au contraire, c'est la preuve que les dieux existent. Les hommes ont utilisé les dieux pour manifester qu'ils ne sont pas seuls dans l'univers et qu'ils portent en eux quelque chose qui indique l'existence de principes dans l'être expliquant plus que l'être - le réel.
Si les dieux sont adorés, c'est que l'homme sait qu'il appartient à d'autres corps et d'autres mondes. Ce que Platon répétait, il le tenait d'antédiluviennes traditions, antérieures à l'Égypte, des traditions africaines qui remontées par le Nil tirèrent leur source des premiers Empires, comme le Zimbabwe ou le Soudan (bien avant l'Inde dravidienne ou Sumer). Selon ces traditions, le cosmos est un corps, comme le corps humain contient d'autres organismes. La structure de l'univers est organisée en poupées russes, dans un cycle d'emboîtements et d'inclusions indéfinis.
Les dieux permettent à l'homme de faire sens. Sans les dieux, l'homme détruit le sens et disparaît. C'est le triste spectacle auquel nous assistons aujourd'hui. Alors que l'homme immanentiste devrait produire d'autres dieux et d'autres formes religieuses, pour surmonter sa crise religieuse, il proclame avec démesure qu'il a surmonté le religieux et que les dieux sont une perte de temps et une illusion. En surmontant les dieux, l'homme se condamne à se surmonter. Il se damne, fier de sa démesure.
Les dieux sont ces créatures supérieures qui donnent sens au monde de l'homme. Le divin est le reflet de la représentation humaine. Quand les hommes vivent de manière morcelée et tribale, c'est le polythéisme qui retranscrit la représentation humaine du réel. Les multiples dieux reprennent les multiples types d'hommes. Quand les hommes tendent à se réunir sur la surface du globe terrestre, le dieu unique remplace les dieux multiples. Le monothéisme est l'expression de l'unification de l'humanité.
La représentation du divin suit la représentation que l'homme a de lui-même. Quand l'homme présente une vision morcelée, la vision des dieux est morcelée. Quand l'homme tend vers l'unité, la vision de l'homme est unifiée. Ce que le monothéiste perçoit comme un dépassement ultime, un conclusion indépassable, son monothéisme n'est qu'un stade dans une conception limitée et définie. Contrairement à l'opposition courante entre polythéisme et monothéisme, les deux sont des sous-courants reliés et interdépendants, qui appartiennent au transcendantalisme.

vendredi 6 novembre 2009

Le temps pose la question de la simultanéité. Le temps est ce qui brise l'unité et établit le morcèlement. Si le temps morcèle, s'il enroule l'unité du réel sous la frise indéfinie du devenir, c'est qu'il est la limite en tant que la limite indique la présence du néant au cœur du réel. Le néant au cœur du sensible montre que les deux formes théoriques n'existent jamais à l'état pur et qu'elles sont toujours sous une disposition mêlée. La question est de savoir si le temps définit le sensible comme un état de réel morcelé qui expurge la grande partie du néant vers l'extérieur du sensible - ou si le temps exprime autre chose qu'une purge, un processus comme l'infinie réduplication des parties. Je penche pour la deuxième solution. Platon explique que nous appartenons à un grand corps, dans une organisation indéfinie de poupées russes.
La métaphore, comme toujours chez Platon, est aussi passionnante que parcellaire. Elle laisse un goût d'inachevé et ne résout pas le problème. Il est vrai que Platon l'emprunte aux mythes égyptiens (et non à la tradition perse/indienne, comme une certaine tradition colonialiste aimerait à insinuer). Nous ne pouvons pas instituer des formes communistes de morcèlements, qui égaliseraient chaque partie morcelée du grand tout. L'autre drame est que plus on progresse dans la hiérarchie des morcèlements, plus la représentation du réel s'unifie et prend forme. Nous pouvons estimer que les morcèlements inférieurs à notre état sont moins conscients du réel que nous le sommes et que les morcèlements supérieurs à notre état le sont davantage.
En même temps, nous n'avons pas conscience que l'unité du réel existe et qu'elle n'est pas concevable pour des parties - malgré ce schéma de progression. Nous avons conscience de cette unité par le fait qu'elle imprègne chacune de ses parties. Imprégnation qui est partielle mais qui n'en est pas moins. Il n'est pas possible de percevoir cette imprégnation comme toujours égale, sans que cette inégalité soit une hiérarchisation cohérente. Le mystère du temps indique que l'ordonnation est partielle et qu'il est nécessaire que la complétude du réel se fasse par l'adjonction d'autres morcèlements au morcèlement ordonné.
Cette indication d'incomplétude émise par le temps est le signe que l'incomplétude n'est pas complétée par le complément de néant pur, mais par le complément d'infinités de morcèlement. Ce qui fait qu'une forme de répétition plane sur la structure du réel est qu'il n'existe jamais indépendamment de notre condition tronquée de réel à l'état pur. Cette unité existe, mais pas indépendamment de ses parties morcelées. En tant qu'unité, le réel est une structure tout à fait simple. Cette simplicité tient dans ce qui est le reflet, soit l'un découlant de deux formes hypothétiques et théoriques, le néant et l'être.
S'il n'est pas possible pour la partie de passer du deux au un, c'est parce que l'un n'existe pas sans le morcèlement. La découverte tragique de l'illusion de Dieu est fausse en ce que Dieu existe, mais Dieu existe en plus de l'ensemble de ses parties - comme une forme qui n'existe pas indépendamment de ses parties. Le sentiment grisant et vague d'appartenir à Dieu est contenu dans la vision religieuse. Si l'un n'existe qu'à l'état de deux, soit de démultiplication constante et indéfinie, alors le temps est la limite de ces démultiplications. L'unité de notre monde, de ce sensible qui est infini et homogène, est déjà imbriquée dans la multiplicité, puisqu'il serait simpliste de tenir le monde de l'homme pour constitué par seulement un seul morcèlement. Les morcèlements s'entrecroisent et se chevauchent.
Le temps indique les mondes auxquels nous n'avons pas accès du fait de notre limite qui est contenue dans notre expérience parcellaire du réel, de ce que nous appelons le sensible. L'expérience de la réduplication de l'infini dans les mondes indique ce qu'est l'infini : le reflet qui permet au réel de ne pas être mécaniste ou matérialiste (et qui indique le mensonge et la fausseté de ces considérations réductionnistes). L'infini est présent dans chaque monde morcelé par le morcèlement, ou toute autre signe d'incomplétude et de fractionnement, parce que l'infini complète chaque ordonnation incomplète, chaque partie du mouvement de réflection. Aucune parcelle de réel ne contient seulement l'un ou l'autre des deux états à l'état pur, ce qui explique pourquoi la pureté est si dangereuse et si trompeuse (elle donne l'impression d'unité).
La mort est le retour de cette forme de néant que l'on retrouve dans le temps. La mort est de ce point de vue la cousine du temps. La mort insinue que notre condition est incomplète et qu'il n'est possible d'atteindre à la complétude qu'en mourant. Selon la structure du réel, nous passons d'un morcèlement à l'autre après notre mort. Le néant n'existant pas, la peur du néant que nous avons n'est qu'en partie justifiée. Il s'agit bien de la peur du néant, mais d'un néant particulier en ce que nous avons surtout peur du changement.
C'est ainsi que nous tombons sur une certaine croyance en la réincarnation, à cette différence près que la réincarnation implique une opération immanente à ce monde sensible. Dans l'expérience de la limite néanthéiste, la réincarnation ne s'effectue jamais dans l'immanentisme, mais dans la dynamique du reflet, dans un rapport perpétuel et permanent d'enversion.
On ne se réincarne en fait jamais puisqu'on change continuellement d'état de morcèlement, de dimension et que le passage s'effectue vers d'autres états qui ne sont jamais le tour, mais chaque fois des parties. La réincarnation est de la dérivation perpétuelle. Le changement signale la dérivation des états finis, soit l'adjonction de néant dans la permanence d'un certain ordre. Que l'ordre ne soit jamais immuable montre son incomplétude et le fait que le changement n'est que l'ajout d'un complément nécessaire à la poursuite du morcèlement, mais insuffisant à l'état d'éternité.
Cependant, il convient de finir cette longue note par une précision d'importance : Dieu existe indépendamment de cette structure toujours morcelée et partielle. Dieu existe parce que l'unité existe. Dieu est cette unité. Bien entendu, Dieu sera à jamais une hypothèse, puisque la définition de cette unité se dérobe constamment à la partie et au deux. Dieu existe en tant qu'il est le reflet, soit la réunion du processus de reflet. Dieu existe parce qu'il importe de comprendre que l'explication immanentiste de l'incréé est absurde. Tout au contraire est-il légitime d'indiquer qu'il est un processus de création, dont l'action créatrice est la figure métonymique ou le rappel religieux.
Simplement ce processus de création ne s'ordonne pas dans la perfection ou dans la complétude, mais dans le reflet ou l'enversion. Dieu est au départ l'incomplétude qui a besoin pour atteindre la complétude de ce processus d'enversion. Dieu a le pouvoir d'instaurer le reflet, non comme un acte tout-puissant et gratuit, mais comme l'acte qui lui permet d'atteindre à la complétude. C'est pourquoi il faut postuler à l'idée d'une existence de Dieu qui implique que les phases de réincarnation néanthéistes que nous ne cessons de connaître en tant que parties aillent de pair avec l'expérience de Dieu.
Ce mystère de la simultanéité de l'éternité, pour reprendre une extraordinaire et impressionnante intuition d'ordre théologique (la théologie étant toujours plus profonde que la philosophie), est explicable dans l'hypothèse néanthéiste, si l'on prend bien soin de rappeler que l'état de création est incomplétude et que le phénomène de Dieu dénote l'état d'incomplétude indépendant de l'état d'ordonnation où l'unité n'existe pas et où l'enversion gémellaire complète ce rapport.
Dans cette configuration, le temps n'existe pas. Il serait très déformateur d'expliquer que Dieu est l'état d'incomplétude antérieur à l'ordonnation. Dieu est le complément qui n'existerait pas sans son complément ordonné. Dieu est le père des jumeaux néanthéistes, mais un père qui ne serait rien sans ses enfants. Ainsi tombons-nous sur une conception de Dieu qui est complément et qui est incomplétude. Dans le transcendantalisme, le prolongement implique que le divin soit perfection. Dans le néanthéisme, le divin est imperfection. Il a besoin du réel et il n'est qu'une part du réel.
Si l'on voulait instaurer Dieu dans le temps, on oserait que Dieu précède le temps, mais si l'on comprend la simultanéité et la signification du temps, on comprend que Dieu est contenu dans le temps et que l'extraordinaire pouvoir de Dieu consiste à avoir suscité les mondes infinis et indéfinis pour compléter sa propre carence et pour assurer sa pérennité à jamais. Dans cet ordre, il coule de source qu'une part de nous ressortit du divin, comme il coule de source que ce que nous percevons de nous actuellement n'est jamais que la partie tronquée et morcelée de ce que nous sommes.
Nous sommes une partie du réel qui ne se réduit pas à son expression sensible mais qui existe dans toutes les parties morcelées de ce réel. Notre principe de simultanéité implique que notre présence au sensible ne soit qu'une partie de notre présence au monde en tant que notre présence est morcelée; et que notre présence morcelée soit aussi présence à Dieu.
Qui est Dieu? Le père des jumeaux est celui qui n'est pas morcelé - les parts de morcelé recèlent leur part d'unicité. Cette définition de Dieu est la définition de l'unité, dont le propre n'est pas d'être l'intégralité, mais d'être la dimension non morcelé du réel. A cet égard, il n'est pas envisageable de réduire le non morcelé à une représentation statique et parcellaire. Le domaine du divin s'exprime en termes de dimension dynamique. Il est l'incomplet qui en tant que non morcelé présente un rapport de simplicité et d'unicité avec chacune des parts morcelées.
Il est dans un rapport dynamique avec le réel qui le rend indépendant du réel tout en l'intégrant dans son champ. Cette conception dynamique explique que la représentation chronologique d'antériorité ne convienne pas pour qualifier un rapport de simultanéité et d'incomplétude.

mardi 3 novembre 2009

Dans le processus d'ordonnation néanthéiste, la question que l'on peut poser, c'est : les processus d'ordonnation sont-ils identiques ou divergent-ils de manière croissante? Selon la deuxième hypothèse, notre condition sensible qui ignore le néant indique que nous nous mouvons dans un morcèlement particulièrement ordonné. Le changement d'un morcèlement vers un autre, qui correspond à un changement de dimension, pourrait tout aussi bien déboucher sur des morcèlements plus que moins ordonnés. Laissons là des hypothèses qui pour spéculatives n'en demeurent pas moins passionnantes. Les morcèlements ne sont pas indépendants, mais au contraire s'interpénètrent. C'est ce qu'a compris le scientifique Vernadski avec sa théorie de la noosphère. De ce point de vue, l'interdépendance des états impliquent que les états de morcèlement ne soient pas identiques, mais qu'ils croissent en fonction de leur rapport à l'état de réel. Plus on est dans le décroissant, plus on se situe proche du sensible, soit de la partie la plus évidente de l'ordonnation. Plus on croît, plus on s'approche de l'unité - plus on croît, plus on a accès au néant. Mais cet accès implique en même temps que l'on perçoive ce néant comme autre chose de différent du sensible et de complémentaire. Dans le processus d'ordonnation, on assimile le néant au chaos ou à la violence désordonnée. Sans estimer comme les nihilistes que le désordre prévaut, il est urgent de constater la complémentarité du désordre et de l'ordre. Le désordre engendre l'ordre, car le désordre pur n'existe pas. Le désordre engendre l'ordre : ce que l'on appelle violence n'est pas viable sans que cette violence accouche d'une forme d'ordre. D'où le morcèlement, le temps et la mort. Derrière cet état des choses, le néanthéisme ne peut aller au-delà du deux. Il est ce qui lie la partie au tout et qui fait évoluer le tout de la Terre vers l'espace. Il demeure à l'intérieur du deux transcendantaliste en conférant une dimension plus convenable aux besoins humains - toujours en évolution. Il identifie et détruit la prétention du nihilisme en particulier immanentiste à atteindre l'unité. Cette unité est fausse, mensongère et repose sur le véritable dualisme. Définir le réel d'un point de vue néanthéiste signifie : le réel est ce qui fait sens.
Quand il s'agit de donner une cartographie du réel, osons une approximation : le réel est le produit du réfléchissement indéfini entre deux approximations qui n'existent jamais à l'état brut - l'être et le néant. Le néant n'existe jamais à l'état de néant, quand le réel n'existe jamais de manière complète. Le réel est le produit de ces deux abstractions. De ce point de vue, quand on veut approcher notre condition d'être sensible, l'on a tendance à oublier que nous n'existons jamais à l'état exclusif d'êtres sensibles. Notre unicité d'individus morcelés n'est que la conséquence de notre immersion dans l'exclusivité du sensible. Platon reprenait l'idée des prêtres égyptiens selon laquelle nous sommes les parties d'un corps qui nous dépasse et qu'ainsi la structure de l'Être est celle d'un indéfini emboîtement à la manière des poupées russes. Il est vrai que la structure de raisonnement du prolongement encourage la projection de nos structures vers les microstructures qui nous composent comme vers les macrostructures que nous composerions. Dans la théologie chrétienne, qui reprend ce concept à ses devanciers polythéistes, on trouve l'idée d'une simultanéité de l'éternité et du temps, de l'instant qui dure et des instants qui passent. La divinisation de la différence se fait au nom d'une immobilité qui en correspond pas à la répétition (dont l'expression penche du côté du nihilisme). Quittant les rives du temps comme cercle, comme devenir ou comme sphère, nous voilà maintenant aux prises avec la conception néanthéiste du temps : le temps comme reflet. De ce point de vue, le remplacement de l'Être par le néant positif implique que le réel soit une succession d'ordonnations dont la finitude n'a de sens que dans une représentation ordonnée. La déconnexion entre une certaine ordonnation et l'ensemble du réel indique que le morcèlement passe pour le tout objectif : la partie morcelée croit vraiment que son morcèlement est le fondement alors qu'il n'est que l'expression du néant qui est toujours présent dans chaque processus d'ordonnation quoiqu'il ne soit jamais à l'état pur.

lundi 2 novembre 2009

Le temps est le complément infini du fini.

Pour poursuivre sur la notion de temps et de néant, au point qu'on pourrait proposer le pastiche
Néant et temps, le temps pose la question du réel. C'est une question religieuse. Dans un rapport transcendantaliste, le temps est inexplicable parce qu'on ne comprend pas ce processus de déroulement à partir d'une conception où le changement est secondaire. On nous explique que le sensible est la partie dégénérée de l'Être. Le temps serait ainsi comme le symbole inexplicable de cette dégénérescence. Le summum du mystère (dans un sens mineur et négatif) culmine avec les interprétations de Simone Weil qui finit par rendre le sensible inutile par rapport à la perfection de l'Être. Dans une optique néanthéiste, le temps est la figuration approximative et déformée du néant positif. Le sensible est une partie ordonnée du réel. Toute partie est fractionnée en donné ordonné. Le morcèlement exprime le mélange inextricable et rédupliqué du néant et de l'être au sein du réel.
Le mélange engendre des séparations infinies parce que le propre du néant est d'échapper à des catégorisations finies. Le processus temporel qui tend à créer un continuum linéaire selon les sens humains indique que nous ne percevons de la réalité que ce qui est ordonné par rapport à ce que nous nommons sensible. Le reste du réel, cette partie néanthéiste vaste et vague, se reporte en temps, soit en complément fractionné et multiple du sensible. Le temps est l'expression d'une limite, qui fait que nous sommes coincés dans une perspective qui nous interdit de comprendre que nous sommes des parties imbriquées dans d'autres parties - morcèlement à l'infini.
Ce que nous appelons instants est divisible à l'infini et ne vaut que par rapport à des conventions. Au fond, le temps est identique à l'espace et doit être approché en termes de morcèlements. Derrière le temps, c'est la question de l'infini qui surgit. Le déroulement du temps est l'inscription de l'infini dans le fini. Le temps est le complément infini du fini.
La limite infinie du fini est le temps - comme rappel et réduplication de l'infini. L'infini n'est pas le prolongement inexplicable de l'Être, mais l'
envers du sensible. Si nous ne parvenons pas à comprendre le temps, c'est à cause de cette configuration d'enversion. L'infini néanthéiste désigne l'indéfini réfléchissement des ordonnations entre l'ordre pur et le néant pur, qui tous deux sont des abstractions et des approximations commodes. La texture du réel n'est pas de l'ordre de la finitude d'un corps délimité.
Elle est dans la réciprocité du rapport d'envers. Le temps ne signifie pas la limite de l'Être, mais ce mécanisme de réfléchissement et le fait que pour donner sens au phénomène temporel, il faudrait sortir de la dimension sensible et maîtriser l'ensemble des jeux de miroirs qui morcèlent le réel en une myriade de dimensions. Le temps est une barrière qui nous signale l'existence de ces dimensions sans que nous puissions par nos sens rivés au champ sensible y accéder.
Nous sommes trop attachés à notre dimension pour effectuer une opération que seule la mort nous oblige à effectuer. De ce point de vue, le morcèlement indique que nous sommes à la fois l'ensemble des morcèlements et le morcèlement dans lequel nous sommes circonscrits. Le lien entre le sensible et les autres morcèlements est souligné par le temps comme limite. Nos expériences les plus intimes sont aussi les plus évocatrices de cette barrière qui indique la présence du néant : le temps, l'espace, la mort.