jeudi 24 juin 2010

Selon la définition du néant, c'est le non-être qui est à définir. Qu'est-ce que le non-être? L'être est dans le transcendantalisme un certain ordre fini et imparfait. L'être est dans l'immanentisme la production du désir antagoniste du néant (dénié). Le néant existe en tant qu'il n'existe pas. C'est la posture de conséquence (inconséquente) du nihilisme.
Dans le néanthéisme, l'être désigne l'ordonnancement, quand le non-être n'existe pas. De ce point de vue, le néanthéisme rejoint le transcendantalisme : il ne peut y avoir que quelque chose. Il ne peut y avoir rien. Par contre, il se démarque du transcendantalisme et intègre le nihilisme en ce qu'il reconnaît que la question du néant est centrale. Dans le transcendantalisme, la question du néant était rejetée avec un certain dédain, voire une certaine virulence. Le néanthéisme dit : le néant existe, en tant que quelque chose.
Selon le néanthéisme, l'être est de l'ordonnancement. Le non-être n'est pas ce qui n'existe pas contre ce qui existerait. Le non-être devient de l'être en enversion, soit une nouvelle définition du réel qui n'est ni l'englobement transcendantaliste, ni l'antagonisme nihiliste. Selon l'enversion, il faut bien que le néant soit quelque chose, mais la forme de l'enversion implique que le réel ne fonctionne pas de manière uniforme ou prolongeante, mais que le quelque chose obéisse à deux grandes structures : la structure de l'ordonnancement (finie) et la structure du néant (infinie).
Qu'est-ce que l'infini? Dans le transcendantalisme, l'infini pose problème car il est défini sur le même mode que le fini. Problème : si le fini est expérimentalement indiscutable, on ne peut pas en dire de même de l'infini... D'où la force de persuasion du nihilisme, qui part du constat d'absence de cet infini transcendantaliste (Dieu ou l'Être) pour définir en antagonisme l'englobement. Le nihiliste explique que l'infini est néant. Bien entendu, il a recourt généralement à des explications plus fuyantes, comme l'incréé chez Spinoza. Mais quand on considère que l'infini est indéfinissable ou qu'on recourt à des termes non définis, c'est un aveu de nihilisme.
Selon le néanthéisme, le néant est quelque chose, pour reprendre la conception du transcendantalisme telle qu'elle se trouve formulée par Leibniz (pourquoi quelque chose plutôt que rien?). L'enversion indique la raison pour laquelle l'infini n'est pas palpable et expérimentable pour des êtres finis. Si le fini ne perçoit pas l'infini, c'est qu'il en a par ses sens empiriques une représentation entièrement négative.
La tâche supérieure de l'homme consiste à dépasser les sens empiriques et à conférer à la raison une dimension qui n'est pas empirique. Une dimension qui permet de donner à l'infini une portée non négative, une portée incertaine et positive. L'infini se trouve définissable par la raison, mais de manière provisoire et imparfaite. Raison pour laquelle cet effort de définition n'est jamais tout à fait satisfaisant. Le nihilisme profite du caractère incertain de la définition positive de l'infini pour saper l'effort de définition et en revenir à une définition négative et empirique (sensuelle).
Le transcendantalisme s'effondre parce que la définition positive qu'il a produite s'avère désormais trop incertaine. L'englobement est plus incertain que positif. Il se fait évanescent, voire insaisissable. Du coup, l'effondrement du transcendantalisme fait le jeu de l'immanentisme. Si l'Être s'effondre, le néant refait surface. Il promeut non pas le néant explicite, mais le réel explicite en se targuant de désigner le réel le plus évident quand le transcendantalisme serait le discours portant sur les arrières-mondes illusoires.
Pour contrer l'immanentisme qui mène au néant destructeur (la seule positivité de ce néant nihiliste), il convient non pas de revenir au transcendantalisme, qui se trouve gangrené par l'immanentisme, mais de fonder un nouveau pacte religieux, dans le prolongement du transcendantalisme. Ce pacte néanthéiste redéfinit le quelque chose tout en continuant à estimer qu'il n'est de réel que du quelque chose. Mais le quelque chose passe d'un schéma d'englobement à un schéma d'enversion.
Dans ce changement, le néant se trouve reconnu. Qu'est-ce que le néant s'il est quelque chose? Le néant est ce qui n'est pas au sens où l'enversion désigne le néant comme l'envers de l'être. Le néant en tant que quelque chose est possible. Il est quelque chose - quoi? Contrairement à ce qu'estiment les nihilistes, que le néant serait désordre, le néant ne se définit pas par l'absence d'ordre. Encore que. Pas l'absence d'ordre au sens où il est un réel qui précède l'opération d'ordonnancement fini, mais que ce réel doit être défini positivement.
Le désordre signifie le contraire de l'ordre, soit un terme négatif (le suffixe dés-). La négativité contraire à l'ordre tend vers le chaos (le bordel cher à Rosset). La négativité sans positivité tend vers le néant nihiliste. Raison pour laquelle la position sceptique tend vers le néant. Le néant négatif est chaos au sens où il est quelque chose, mais quelque chose d'autre. Il n'est pas de néant qui ne soit. Ce qu'est ce qui est tenu pour ce qui n'est pas est : une chose accompagnée d'une fausse représentation, soit d'une dissociation entre l'être et la représentation.
Avec le nihilisme, l'erreur consiste à toujours en demeurer à l'ordre de l'être sans jamais aller au-delà. Comme le nihiliste ne va pas au-delà de l'être, il en conclut qu'il n'y a rien au-delà, soit que le néant est l'antagoniste de l'être. Si l'on ne peut aller au-delà, c'est qu'il n'y a pas d'au-delà. D'où l'apologie effrénée et inconditionnelle de la surface et de l'apparence par le nihiliste : on ne saurait qu'en rester aux apparences puisqu'aller au-delà, c'est butter contre rien.
Rosset distingue nettement entre le rien qui désigne quelque chose de vide et rien qui désigne une non réalité (un non être) dont la teneur est antagoniste de la teneur en être contenue dans le sensible imparfait. Dans l'enversion, cet au-delà existe. L'enversion permet d'aller au-delà de l'ordre et du sensible parce que le réel ne saurait jamais être formé que de teneur en quelque chose. Pour le néanthéisme, rien n'existe pas - précisément.
Qu'est-ce que le néant néanthéiste? Ce n'est ni du chaos (bordel), ni du désordre (sceptique). C'est de l'insécable, de l'unifié, de l'unique. Telle est la définition de l'infini, qui recoupe la définition du néant : de l'unifié. Face au morcelé ordonnancé en être fini, l'infini est du néant unifié. Plus qu'unique, Dieu est unifié. L'infini unifié est aussi l'incomplet. L'enversion explique cette complémentarité incomplète du néant infini et de l'être fini au sein de l'enversion : la complétude n'existe pas; le néant renvoie à l'unifié.

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