mercredi 22 septembre 2010

Dans la quête de Platon, il convient de replacer au centre de son action l'héritage de son enseignement égyptien par rapport au savoir des sophistes. Les sophistes ne sont pas spécifiquement nés en Grèce. Un Démocrite a beaucoup voyagé, notamment en Perse (sans doute pourrait-on lier ses conceptions matérialistes à des traditions mésopotamiennes liées à certains mythes d'Inde). Les cyrénaïque viennent de Libye. Un Hégésias qui est l'exemple du nihiliste antique suit les pérégrinations de l'école cyrénaïque d'Athènes et s'installe en Egypte pour un temps (Alexandrie exactement).
Platon part de la constatation lucide selon laquelle le religieux est en profonde mutation. L'enseignement de Socrate lui permettra de donner une inflexion religieuse philosophique à ses questions, mais l'on peut estimer que son génie propre est d'avoir situé la philosophie de tradition occidentale dans le giron du monothéisme - au grand dam des nihilistes qui ressurgissent historiquement dans la modernité avec l'immanentisme et l'indignation amoraliste d'un Nietzsche.
Platon a si bien réfuté l'entreprise sophistique de son temps qu'il a contraint un Aristote (son élève) à biaiser en faisant mine de reprendre l'Etre sous prétexte de le subvertir par des menées nihilistes. Dans l'histoire de la philosophie, l'Etre subverti de type aristotélicien est un compromis entre l'Etre platonicien et le néant nihiliste. Aristote est contraint d'agir de la sorte parce qu'il sait que son maître honni et respecté a détruit la solution nihiliste telle qu'elle survient au moment où le polythéisme ébranlé menace le transcendantalisme dans ses fondations.
Le rôle historique et religieux d'un Platon consiste bel et bien à sauvegarder l'héritage transcendantaliste en lui offrant une perspective de poursuite par le biais du monothéisme. Ce faisant, les monothéistes préservent le transcendantalisme et lui offrent une prolongation d'existence et de sens. Mais le problème du transcendantalisme consiste à offrir une solution pérenne au niveau du quelque chose en faisant disparaître la question du néant assimilée (voire amalgamée) à la solution nihiliste.
Le nihilisme postule que le réel est constitué d'un réel fini et d'un néant infini et antagoniste. La réponse transcendantaliste consiste à remplacer le néant nihiliste par un englobant prolongeant qui aux prémisses du transcendantalisme de type polythéiste est pluriel (les dieux) et qui devient avec le monothéisme dominant le Dieu unique (l'Etre en termes ontologiques). Cette manière de procéder présente l'insigne avantage de permettre le développement du religieux et de la culture - alors que le modèle nihiliste (historiquement premier) détruit.
Mais l'inconvénient de cette admirable méthode transcendantaliste est qu'elle est limitée : le fait qu'elle occulte la question du néant et qu'elle la recouvre de la solution de l'Etre indique cette limite : l'Etre est le prolongement (englobant) du sensible. On prend le sensible et on l'hypostasie. Le sensible est limité aux dimensions de la Terre qui est le domaine de connaissance sensible du réel. Hors de cette limite, le transcendantalisme ne répond plus.
Comme l'histoire humaine est caractérisée par une constante (et indéfinie) expansion, le transcendantalisme convient tant que l'expansion humaine se maintient dans les bornes de la Terre. Mais le globe terrestre étant de stature finie, il devait arriver fatalement que l'homme finisse par le dominer intégralement - et que les codes transcendantalistes deviennent désuets. Dès lors l'effondrement du transcendantalisme est autant métaphysique (avec une acception religieuses) que topographique (ou géographique).
Dans cette conception, l'effondrement du transcendantalisme laisse réapparaître le nihilisme croissant, qui a tellement gagné en vigueur avec l'effondrement du transcendantalisme qu'il reparaît sous une forme moderne plus radicale et agissante : l'immanentisme. Ce n'est pas un hasard si le nihilisme revient avec plus de force au moment où s'effondre le transcendantalisme : car la question centrale (fondamentale) du néant n'a pas été réglée.
C'est le moins qu'on puisse observer. Tout l'effort du transcendantalisme aura été de répondre à la question du néant par la réfutation du nihilisme, sur le mode : je remplace la question du néant par la question de l'Etre. Technique caduque. Le monothéisme n'a fait que l'accroître en substituant l'unicité de Dieu à la pluralité des dieux - en radicalisant le dogme transcendantaliste. Aujourd'hui que nous sommes parvenus à la limite du transcendantalisme et à son effondrement en cours (ce que confirme le déni de la plupart de ses membres qui sont aussi ses thuriféraires consternants, quoique prévisibles), il convient de remplacer la technique suranné et dépassée de l'englobement/prolongement par la nouvelle technique permettant le nouveau religieux : l'enversion - au service du néanthéisme.

mardi 21 septembre 2010

Définir le néant est la tache qui incombe à l'aventure humaine qui se poursuit. S'il est vrai que souvent l'homme définit théoriquement après avoir mis en pratique un postulat qu'il a plus pressenti que rationalisé, le choix du néant pour remplacer l'Etre et pour définir le divin a de quoi déconcerter. Le néant est fort mal connoté par la tradition - notamment monothéiste (en particulier la branche de l'ontologie occidentale descendant de Platon). Il est vrai qu'on l'accole au nihilisme, dont l'immanentisme est la forme moderne.
Cependant, il convient de se demander pourquoi le nihilisme reparaît avec autant de force lors de la crise occasionnée à l'intérieur du transcendantalisme par le passage du polythéisme au monothéisme. C'est que le nihilisme est le courant originel qui pose la question profonde à laquelle les monothéistes ne répondent qu'imparfaitement - quoique valablement du point de vue du quelque chose. Ce n'est pas pour rien que les sophistes connaissent un tel succès à l'époque de la crise de passation entre polythéisme et monothéisme : parce que malgré leur démesure, ils posent la question profonde du néant.
Comme diraient les hommes d'affaires, ils mettent la question du néant sur la table. Pour le reste, ils apportent au problème les pires des réponses, à l'exemple du sophiste pessimiste moderne Schiffter, dont le seul intérêt historique est, comme dirait son maître Nietzsche, symptomatique. Tout l'effort spécifique du maître de l'ontologie d'obédience monothéiste Platon consistera à enterrer la question du néant pour la recouvrir de sa chape de l'Etre. Tout le mérite d'un Platon est de proposer une alternative pour pérenniser l'homme après la crise polythéiste.
Platon comprend que la question du néant telle qu'elle est résolue par les nihilistes ne tient pas la route - ou seulement pour peu de temps. Du coup, il propose un système hérité des pythagoriciens (descendants sur le sol grec du savoir égyptien) qui a la particularité de prolonger cette pérennité menacée par la crise de la fin du polythéisme et de l'avènement du monothéisme. Platon se situe comme l'un des principaux fondateurs du monothéisme dans la culture occidentale.
Mais il ne parvient à rejeter le nihilisme personnifié par les sophistes qu'au prix du rejet obstiné de la question du néant. Les monothéistes la recouvre du manteau englobant et géant de l'Etre. Dieu est le synonyme de l'Etre en tant que vocabulaire ontologique. Or l'Etre permet certes de prolonger le quelque chose tandis que le néant de facture nihiliste engendre la destruction et la disparition. Mais ce prolongement n'est que provisoire.