"Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes."
Bossuet.
Pour
ne citer que le causalisme, on est tenté dans notre raisonnement
d'estimer que l'origine contient la vérité. Mais en fait, on peut parler
de mythe des origines. On peut dire que tous les philosophes depuis les
présocratiques se targuent d'avoir produit cette origine qui explique
le monde. Autrement dit, on ne peut expliquer que si on fournit la
cause, qui n'est pas seulement la cause de l'explication, mais qui est
la cause originelle, essentielle et ultime - indépassable. La simple
cause de l'explication serait circonstancielle, c'est-à-dire qu’elle est
nécessaire au sens d’inamovible, mais qu'elle donne lieu à un effet qui
lui est supérieur, donc que son rôle est secondaire; tandis que la
cause essentielle est l'origine du monde.
C'est
en ce sens que Descartes donne comme origine Dieu, Nietzsche, qui est
resté un métaphysicien la volonté de puissance, ou Hegel l'Esprit. C'est
toujours en ce sens que tant de philosophes, comme Hobbes, Rousseau ou
Schopenhauer, ont développé des théories du contrat fondées sur l'état
de nature, dont le propre est d'exprimer une origine fictive.
C'est
la preuve qu'on a besoin d'une origine pour mieux assoir le
développement de la pensée, même si on sait très bien que cette origine
est fictive. On serait plus avisé de se rendre compte qu'au fond, toute
origine, et pas seulement celle-là, s'avère relever de la mythologie.
Mais en a-t-on tant besoin que cela?
Si
l'on veut comprendre pourquoi l'origine du monde n'existe pas, c'est
parce que l’origine n'existe qu'au niveau de l'être : le propre de
l'être est sa finitude. L'erreur du transcendantalisme n'est pas de
chercher une origine dans l'être, mais d'hypostasier l’Être, de telle
sorte que l'on ne comprend plus trop comment l’Être pourrait ne pas être
à l'origine de tout, bien qu'on ne parvienne à l'expliquer. On ne fait
que rendre légitime un discours dont l'erreur fondamental l'entraîne
vers des développements de plus en plus faux, à mesure qu'il refuse
précisément de se sortir de l'ornière initiale à laquelle il a souscrit.
Et
pour cause : si l'on suit le raisonnement humain, il est impossible de
comprendre que l’Être soit l'origine, puisque l'origine telle que nous
la comprenons nécessite toujours une cause, quelque chose qui la
précède. Cette régression à l'infini, qui connote un raisonnement de
type cercle vicieux, engendre des positions comme l'arationalisme ou
l’irrationalisme - en tout cas, l'idée générale selon laquelle,
puisqu'on ne peut comprendre l’Être, c'est le signe qu'il existe une
disjonction entre l'être et l’Être, de telle sorte qu'a minima, l'être ne peut comprendre l’Être (la compréhension est unilatérale, du côté de l’Être).
Mais
ce n'est pas la faculté de compréhension de l'homme qui est en
question. C'est le modèle transcendantaliste dont il refuse de changer
par commodité et habitude qui est erroné. S'il le change, il tombe sur
l'idée que le réel est formé de manière non pas homogène, sur le modèle
du prolongement être/Être, mais de manière différente, avec une partie
complémentaire de l'être qui n'est pas de l'être.
Du
coup, l'origine n'a pas de sens, car c'est une question qui n'a de
logique que dans le cadre de l'être. Mais pour la comprendre, il est
possible de recourir à l'intelligence humaine, ce qui montre que l'on
n'ait pas constitué que d'être, sans quoi nous ne pourrions comprendre
ce qui n'est pas de l'être.
Figurons-nous
que ce soit une propriété comme la malléabilité qui soit le complément
de l'être. Déjà, l'origine n'a aucun sens, puisque l'être désigne un
état, quand la malléabilité est une propriété. Ensuite, le propre de ce
qui est malléable est de ne pas accepter d'origine, puisqu'il est
étirable, adaptable, plastique, mouvant, de telle sorte qu'il se déploie
d'une manière qui ne supporte pas l'idée même d'origine.
L'origine
a un sens dans l'être, pas de sens dans la malléabilité. Dès lors, le
réel comme composé d'être et de malléabilité se comprend comme ce qui
n'est pas créé, et ne peut l'être, mais comme ce qui est nécessairement
instantané et concomitant. Quand on se figure qu'il est une origine au
réel, on décompose le réel d'une manière qui nous permet de mieux
l'appréhender rationnellement, mais qui ne répond pas au réel, dont le
propre est de n'avoir ni origine, ni fin, si l'on incorpore le critère
de malléabilité en plus de la représentation reconnue de l'être.
Il
faudrait parler de simultanéité de l'être, ou de concomitance, de telle
sorte que le temps se donne comme la décomposition de la simultanéité
en parties finies dont le nombre est infini, puisque l'infini exprime en
termes de finitude la décomposition de la malléabilité.
Si l'origine n'a de valeur que dans la finitude, alors la démarche des philosophes qui ont besoin d'inventer l'état de nature s'explique comme une méthode des plus ingénieuses : il s'agit en effet de recourir au seul moyen qui consiste à penser les origines comme une fiction néanmoins indépassable et incontournable, selon notre logique bornée, de telle sorte que l'on a besoin de créer un avant l’origine, aussi absurde que le geste paraisse, si l'on veut penser l'origine (cette approche est plus large qu'un geste relevant seulement de la philosophie politique : elle exprime le problème cardinal de la connaissance du réel, l'épistémologie au sens le plus large, englobant de loin la question scientifique, et aussi la philosophie, pour être la question de la pensée).
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