vendredi 24 mars 2017

"Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes."
Bossuet.

Pour ne citer que le causalisme, on est tenté dans notre raisonnement d'estimer que l'origine contient la vérité. Mais en fait, on peut parler de mythe des origines. On peut dire que tous les philosophes depuis les présocratiques se targuent d'avoir produit cette origine qui explique le monde. Autrement dit, on ne peut expliquer que si on fournit la cause, qui n'est pas seulement la cause de l'explication, mais qui est la cause originelle, essentielle et ultime - indépassable. La simple cause de l'explication serait circonstancielle, c'est-à-dire qu’elle est nécessaire au sens d’inamovible, mais qu'elle donne lieu à un effet qui lui est supérieur, donc que son rôle est secondaire; tandis que la cause essentielle est l'origine du monde.
C'est en ce sens que Descartes donne comme origine Dieu, Nietzsche, qui est resté un métaphysicien la volonté de puissance, ou Hegel l'Esprit. C'est toujours en ce sens que tant de philosophes, comme Hobbes, Rousseau ou Schopenhauer, ont développé des théories du contrat fondées sur l'état de nature, dont le propre est d'exprimer une origine fictive. 
C'est la preuve qu'on a besoin d'une origine pour mieux assoir le développement de la pensée, même si on sait très bien que cette origine est fictive. On serait plus avisé de se rendre compte qu'au fond, toute origine, et pas seulement celle-là, s'avère relever de la mythologie. Mais en a-t-on tant besoin que cela?
Si l'on veut comprendre pourquoi l'origine du monde n'existe pas, c'est parce que l’origine n'existe qu'au niveau de l'être : le propre de l'être est sa finitude. L'erreur du transcendantalisme n'est pas de chercher une origine dans l'être, mais d'hypostasier l’Être, de telle sorte que l'on ne comprend plus trop comment l’Être pourrait ne pas être à l'origine de tout, bien qu'on ne parvienne à l'expliquer. On ne fait que rendre légitime un discours dont l'erreur fondamental l'entraîne vers des développements de plus en plus faux, à mesure qu'il refuse précisément de se sortir de l'ornière initiale à laquelle il a souscrit.
Et pour cause : si l'on suit le raisonnement humain, il est impossible de comprendre que l’Être soit l'origine, puisque l'origine telle que nous la comprenons nécessite toujours une cause, quelque chose qui la précède. Cette régression à l'infini, qui connote un raisonnement de type cercle vicieux, engendre des positions comme l'arationalisme ou l’irrationalisme - en tout cas, l'idée générale selon laquelle, puisqu'on ne peut comprendre l’Être, c'est le signe qu'il existe une disjonction entre l'être et l’Être, de telle sorte qu'a minima, l'être ne peut comprendre l’Être (la compréhension est unilatérale, du côté de l’Être).
Mais ce n'est pas la faculté de compréhension de l'homme qui est en question. C'est le modèle transcendantaliste dont il refuse de changer par commodité et habitude qui est erroné. S'il le change, il tombe sur l'idée que le réel est formé de manière non pas homogène, sur le modèle du prolongement être/Être, mais de manière différente, avec une partie complémentaire de l'être qui n'est pas de l'être.
Du coup, l'origine n'a pas de sens, car c'est une question qui n'a de logique que dans le cadre de l'être. Mais pour la comprendre, il est possible de recourir à l'intelligence humaine, ce qui montre que l'on n'ait pas constitué que d'être, sans quoi nous ne pourrions comprendre ce qui n'est pas de l'être.
Figurons-nous que ce soit une propriété comme la malléabilité qui soit le complément de l'être. Déjà, l'origine n'a aucun sens, puisque l'être désigne un état, quand la malléabilité est une propriété. Ensuite, le propre de ce qui est malléable est de ne pas accepter d'origine, puisqu'il est étirable, adaptable, plastique, mouvant, de telle sorte qu'il se déploie d'une manière qui ne supporte pas l'idée même d'origine.
L'origine a un sens dans l'être, pas de sens dans la malléabilité. Dès lors, le réel comme composé d'être et de malléabilité se comprend comme ce qui n'est pas créé, et ne peut l'être, mais comme ce qui est nécessairement instantané et concomitant. Quand on se figure qu'il est une origine au réel, on décompose le réel d'une manière qui nous permet de mieux l'appréhender rationnellement, mais qui ne répond pas au réel, dont le propre est de n'avoir ni origine, ni fin, si l'on incorpore le critère de malléabilité en plus de la représentation reconnue de l'être.
Il faudrait parler de simultanéité de l'être, ou de concomitance, de telle sorte que le temps se donne comme la décomposition de la simultanéité en parties finies dont le nombre est infini, puisque l'infini exprime en termes de finitude la décomposition de la malléabilité. 
Si l'origine n'a de valeur que dans la finitude, alors la démarche des philosophes qui ont besoin d'inventer l'état de nature s'explique comme une méthode des plus ingénieuses : il s'agit en effet de recourir au seul moyen qui consiste à penser les origines comme une fiction néanmoins indépassable et incontournable, selon notre logique bornée, de telle sorte que l'on a besoin de créer un avant l’origine, aussi absurde que le geste paraisse, si l'on veut penser l'origine (cette approche est plus large qu'un geste relevant seulement de la philosophie politique : elle exprime le problème cardinal de la connaissance du réel, l'épistémologie au sens le plus large, englobant de loin la question scientifique, et aussi la philosophie, pour être la question de la pensée).

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