samedi 17 avril 2010

Si l'on examine les modalités du changement, le rien renvoie à la chose. Une chose informelle, réduite - une chose. Le néant est quelque chose. Quelque chose - d'informel : quelque chose à l'état d'incomplétude pure. Quelque chose sans ordonnancement. Quelque chose qui a du fond sans forme. Si le rien renvoie à quelque chose, la première leçon du transcendantalisme comme de l'ontologie, c'est que le néant pur (positif) n'existe pas. L'absence pure n'existe pas. Le langage ne parvient d'ailleurs pas à exprimer le néant sans l'associer de manière antithétique à l'existence, soit au quelque chose!
Non seulement le nihilisme repose sur l'erreur fondamentale la plus obvie, et l'on comprend l'opposition stricte du transcendantalisme (dont la colère mémorable de Platon contre les sophistes ou Démocrite), mais encore le changement implique que l'on passe de quelque chose à autre chose, soit qu'une évolution se produise dans l'ordonnancement. Du coup, outre le processus de diminution qualitative (au niveau du néant incomplet et néanthéiste), la dynamique de destruction apparaît comme la condition au changement. Détruisez, il en restera toujours quelque chose. Le Christ ne dit-il pas : détruisez ce temple et en trois jours je le relèverai?
La destruction est la condition sine qua non à la construction. Quand on construit, on crée. L'acte de création renvoie à l'action d'instaurer quelque chose à partir de rien. Bien entendu, on peut estimer que le néant provient du rien pur - que Dieu opère un acte quasi magique de création à partir de rien. Si l'on affronte l'interrogation leibnizienne (pourquoi quelque chose plutôt que rien?), on en arrive à l'idée que le rien est toujours quelque chose. Créer à partir de rien, c'est ordonner quelque chose d'informel, donner au chaos forme. Une forme.
La destruction est l'opération préalable qui engendre la création. Le rituel du sacrifice instaure la pratique, avec l'idée que l'on brûle (plus largement que l'on détruit) pour permettre la création à partir de l'informel. Pour que la forme revienne, encore convient-il de détruire préalablement. Encore convient-il de préciser que l'acte de destruction ainsi compris n'est pas la destruction cataclysmique synonyme de disparition. Il n'est pas question d'appeler à la fin du monde, ou à la fin de l'homme (dans un sens littéral plus que philosophique), mais à la fin d'un monde, soit à une disparition comprise dans les bornes du monde de l'homme et ne touchant en aucun cas à l'intégrité de l'homme lui-même (encore moins du monde comprenant le monde de l'homme présent).
Il convient de distinguer entre la destruction totale, qui englobe l'ensemble du monde de l'homme, et la destruction partielle, interne au nom de de l'homme. Quand l'homme recourt à la destruction pour construire, il utilise deux repères :
1) il détruit en proportion de ce qu'il veut (re)construire;
2) il détruit généralement ce qu'il aime en fonction de ce qui le concerne.
L'esprit du sacrifice est présent dans la destruction. Le sacrifice antique permettait de changer le cours du réel au profit du sacrificateur. L'abolition du sacrifice dans le monothéisme indique que le monothéisme estime que le changement est constitutif du divin (le divin est l'autre), voire que le monothéisme n'a pas besoin de changement extérieur à sa propre forme.
Raison pour laquelle les grands changements s'opèrent suite à de grandes violences, des destructions, des révolutions, des bouleversements : pour changer, encore convient-il de commencer par - détruire. Avec une précision d'importance : le changement que suppose la destruction n'est jamais un changement favorable à l'ordre en place. En détruisant l'ordre en place, on favorise l'avènement d'un autre ordre - pas le maintien de cet ordre. C'est l'esprit du sacrifice qui prétend moins changer que d'empêcher le bouleversement de l'ordre contenu dans le changement. Changer en conservant les données.
La destruction est l'opération première du changement. La deuxième condition est que l'esprit du changement implique la mutation de l'ordre, voire son remplacement. Plus la destruction est importante, plus le changement s'annonce important. Mais la destruction n'est-elle pas que l'opération négative du changement - impliquant l'opération positive de construction ou de reconstruction? Au risque de jouer du paradoxe, j'oserai que le positif est plus contenu dans l'opération de destruction que le négatif.
Je veux dire : le négatif n'implique pas le passage au positif et ne propose rien d'autre que son œuvre négative. Destruction totale. Toute destruction partielle est déjà positive ou constructive. De la destruction pour de la destruction : une entreprise négative de destruction ne provoquerait pas la construction. Elle se résumerait à une destruction d'ordre cataclysmique. Le fait que la destruction accouche de la construction indique que c'est une destruction qui est opérée dans le but de permettre (relancer) la construction à venir.
La destruction sert le changement sans quoi elle se limiterait au spectacle désolant de la fin du monde. Le changement est le passage d'un monde à un autre (dans un sens proche de l'Éternel Retour d'ordre physique propagé par les pré-socratiques). Le changement est spécificité humaine : les autres espèces animales ne changent pas. Elles ne sont pas capables de changer, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas capables d'intégrer un principe extérieur qui modifie leur ordre donné. L'homme change car il est capable d'intégrer des principes extérieurs, en reconnaissant que son monde n'est pas l'intégralité du réel.
L'opération de destruction s'intègre dans ce processus d'échange au sens qu'il sert le changement. On commence par désintégrer pour mieux intégrer. La destruction appartient à l'opération d'ensemble du changement, dont elle constitue une sorte de propédeutique. Pas de changement sans destruction. La destruction avec changement diffère du tout au tout de la destruction sans changement (définitive). L'on ne détruit pour changer que par rapport au changement. Tout se passe comme si les conditions du changement n'étaient pas calculées ou pensées par des hommes, mais que le changement se produisait en fonction d'intérêts qui proviennent du réel.
Le changement nous confronte à la problématique du divin. Le changement, c'est le divin. La destruction appartient à ce plan d'ensemble. Comme elle n'est pas calculée par l'homme, la destruction du milieu de l'homme indique l'importance et l'ampleur des changements. Plus la destruction est importante, plus le changement s'annonce considérable. Quelle est la loi de destruction qui explique que la destruction soit un paramètre régissant l'homme tout en lui échappant? Cette destruction est fonction de la fixité ou de la stabilité accordée par l'ordre humain à lui-même.
Plus l'homme d'un ordre estime son ordre immuable, plus il fonde un ordre destiné à être détruit et à connaître un changement important. C'est ainsi que notre ordre a tellement sombré dans la démesure, soit dans la fixité et l'adhésion à son caractère immuable, qu'il s'est constitué dans en forme de puissance babellienne et que le changement qui est à notre porte s'avère de la plus haute importance. Sans doute sommes-nous confrontés au plus grand changement de l'histoire humaine. Sans doute la destruction sera-t-elle cette fois la plus importante puisque la destruction préfigure au changement et appartient à son processus. Plus on refuse le changement, plus on le prépare. Loi de la destruction positive.

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