mercredi 9 septembre 2009

Partons d'un aveu de la transcendantaliste réactionnaire Simone Weil. Notre chrétienne juive de choc (ne manque plus qu'une conversion à l'Islam pour être monothéiste accomplie?) explique que le problème de l'Etre, qui chez elle ressortit d'une problématique monothéiste (de crise), est d'être trop plein plutôt que trop creux. En plein dans le mille! Dieu est improbable d'être parfait, non imparfait. Sur-existant; non inexistant. Si Dieu est parfait, quel besoin d'un supplément à la perfection? Dans Platon, le penseur rationnel emblématique du monothéisme balbutiant, la partition du réel est due aux carences de représentation de la partie. Le réel est Un, c'est la partie qui duplique et tronçonne. De ce point de vue, Platon illustre la mentalité transcendantaliste, selon laquelle l'imperfection est celle de la partie. La perfection est celle de l'Etre. Autant dire qu'il n'est pas d'imperfection à côté de la perfection, mais que l'imperfection naît de la scission de l'Un - en partie. L'Un et la partie sont indissociables, au sens où le sensible appartient au giron de l'Etre. Le seul problème est que l'Un sensible devient morcelé et partiel. Cet affaiblissement obvie de l'Etre, de Dieu, ou du divin indique tout simplement l'effondrement du transcendantalisme en cours sur plusieurs siècles.
Au temps du transcendantalisme sain, c'est-à-dire polythéiste, l'Etre est pluriel. C'est dire sa santé. On parle de dieux et non de Dieu. Le divin ne désigne pas le réel qui complète et excède le sensible. Il désigne l'ensemble du réel, dont le sensible est une partie. L'imperfection du transcendantalisme naît de l'effondrement de son modèle de prolongement et de limite. La limite est atteinte et l'homme moderne découvre avec effroi que le modèle métaphysique provoque des résultats physiques calamiteux. Le métaphysique qui s'effondre, c'est la mort du transcendantalisme, dont le monothéisme était la partie tardive et affaiblie (un seul Dieu signe l'affaiblissement du transcendantalisme, non son accroissement de vitalité spirituelle).
Par suite, le raisonnement de Weil est typique du décalage entre ce qui est passé et dont on refuse d'accepter le changement évident - et ce qui a changé est qui est : le monothéisme est passé et s'est commué en nihilisme. Pour dépasser la fin du monothéisme, Weil reprend à son compte la partition entre sensible et Etre. Evidemment, cette partition n'a aucun sens, puisque l'espoir du transcendantalisme consiste à postuler que le sensible est englobé dans l'Etre, alors que le nihilisme véritable débouche sur le dualisme antagoniste du sensible/être et du néant. Weil se contente de reprendre paresseusement ce schéma nihiliste en remplaçant le néant par l'Etre. Du coup, le dualisme antagoniste entre l'imperfection sensible et la perfection de l'être accouche d'une absurdité encore plus logique qu'ontologique.
L'absurdité de la représentation ontologique de Weil, qui consiste à proposer un savant amalgame (ou mélange confus) entre nihilisme et transcendantalisme, rappelle l'attitude paresseuse ou lâche de ces faux pacifistes qui pour éviter les problèmes et différer les conflits se mettent d'accord avec les avis contraires des deux parties et font mine d'enterrer la hache de guerre. Il a sans doute échappé à notre chrétienne de choc que sa position avalisait l'immanentisme et signait la mort irrémédiable et consommée du transcendantalisme. Quand on est d'accord avec tout le monde, on ne fait pas la paix, on prépare la destruction généralisée.
Ainsi va Weil qui s'éveille à la pensée dans la mesure où elle enterre la pensée. Heureusement, face au déclin du sens transcendantaliste, face à l'évidence que le sens de l'Etre est caduc, qu'il n'est plus possible de définir l'Etre, qu'un Heidegger n'y parvient pas malgré toute sa science, qu'un prophète comme Nietzsche annonce sous son masque le plus pénétrant (le fou) la mort de Dieu, il reste une solution pour poursuivre le religieux sans lequel il n'est plus d'homme - donc plus de culture. Cette solution, c'est le néanthéisme.
Il s'agit de prendre acte de la perte définitive de sens du nom Dieu et de remplacer ce Dieu/Etre par le néant. Pas le néant du nihilisme qui est l'opposé du sensible et qui mène au néant pour l'homme, soit à la disparition. Le néant religieux est l'envers du sensible, créant un rapport de gémellité et de va-et-vient indéfini. Ce néant appartient au domaine de l'existence, ainsi que le définit Platon. Selon Platon, le néant ne peut pas ne pas être. Selon l'immanentiste terminal Rosset, qui subvertit follement Parménide, Platon divague. Rosset explicite la distinction dualiste et nihiliste entre ce qui n'existe pas et ce qui existe.
Platon pensait en polythéiste qui s'ouvre au monothéisme. La grande préoccupation de Platon est de penser l'Un en relation avec la partie - l'Etre en relation avec l'être. Il est temps de comprendre que Platon a raison contre le nihilisme et avec la doctrine de l'Etre. Ce n'est pas Parménide que Platon trahit. C'est simplement que Platon prône une doctrine désormais dépassée. Pensons en termes religieux et n'oublions jamais que l'ontologie est une sous-branche du religieux. Le maître effectif et fantasmé de Platon, Socrate, fut condamné pour outrages religieux en premier lieu. L'explication fameuse et liée, la corruption de la jeunesse, montre assez que la destruction du religieux touche le renouvellement de la cité dans ses forces vives.
Justement, l'effondrement du transcendantalisme implique que le modèle est dépassé. Son remplacement par le nihilisme signale l'abîme : l'Etre remplacé par le néant. Le néant positif ne se développe en tant que conception homicide et mortifère qu'en cas de vacuité. Le néant est ce parasite qui ne s'installe que parce qu'il vient remplacer un manque ou un défaut - une carence. La limite de l'Etre est que le prolongement ontologique être/Etre ne suffit plus face à l'implosion du modèle classique sous les coups de buttoir de la science.
L'avènement du nihilisme sous sa forme moderne immanentiste n'est effectif que parce que la question qui remplace l'Etre est la question du néant. Pas le néant abordé sous l'angle nihiliste, soit la croyance dans le néant positif. La question du néant sous sa forme religieuse viable et classique. Seul moyen : prendre en compte la critique de Rosset et faire du néant le substitut de l'Etre.
Le bouleversement n'est pas ontologique. Il est religieux. Le néant existe en tant que quelque chose et en tant que complément de l'être. Le nihilisme est congédié par la production d'un néant défini du point de vue de l'existence. L'objection immanentiste ne tient plus. L'Etre de Dieu est remplacé par le néant de Dieu. La destruction de l'homme, fin immanentiste, est désamorcée pour un (long) temps. L'Etre dépassé par le néant, la démarche religieuse est sauvegardée. Elle mène l'homme à apprivoiser le néant, soit à se rendre dans l'espace, seul salut pour l'espèce.

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