lundi 23 novembre 2009

L'analyse du même et de l'autre conduit à comprendre le schéma religieux classique, qui repose sur le processus transcendantaliste :
a) La première forme transcendantaliste est le polythéisme. Le dieu est le prolongement de l'homme. Dans un schéma où le socle identitaire repose sur la tribu, l'homme présente une image morcelée. La pluralité des dieux à l'intérieur d'une tribu, conjuguée à la pluralité des dieux renvoyant aux tribus extérieures, indique que les dieux sont à l'image de l'humanité plurielle. Le polythéisme traduit l'homme pluriel.
Dans cette mentalité, le même renvoie au divin. L'image de la sécurité, de la stabilité n'est pas de ce monde sensible, qui est le monde du changement et de l'autre par excellence. Cette opposition forme le socle du polythéisme. Contrairement à ce que la propagande monothéiste façonnera
a posteriori, c'est ce schéma qui est le plus solide et qui historiquement assure le plus de stabilité. Le monothéisme a duré deux mille ans, quand le polythéisme dure des dizaines de millénaires.
Il est normal que la divinisation de la stabilité engendre la stabilité du système religieux, sur lequel repose le système politique. L'identification du même au divin induit la stabilité de l'homme, qui assure la jonction entre le morcèlement instable et la stabilité divine. Alors que l'homme reconnaît que son expérience première et sensible l'emmène du côté de l'altérité instable, il en déduit que cette instabilité s'appuie sur la stabilité divine.
Le fait que le polythéiste déduise la stabilité de l'instabilité, le même de l'autre, montre que le fonctionnement de l'esprit humain repose sur l'idée de prolongement ou d'
englobement. A partir de l'instabilité, on déduit la stabilité, ce qui implique que la stabilité soit déjà présente dans l'instabilité, soit que l'instabilité participe de cette stabilité. Au niveau des panthéons, le pluralisme des dieux est dépassé par l'idée que ces dieux participent d'un même mouvement et que le dieu suprême est le symbole du divin unifié. Le polythéiste part de son expérience et la prolonge en l'universalisant. Le schéma le plus évident du transcendantalisme repose sur le polythéisme. Raison pour laquelle le polythéisme a duré si longtemps.
Le passage du polythéisme au monothéisme est progressif. On retrouve cette progression (non synonyme de supériorité) dans la constitution du judaïsme, qui est une religion et en aucun cas un peuple géographique. Le judaïsme instaure le dieu unique, mais le circonscrit à un peuple. On n'est plus dans le polythéisme, mais pas encore dans l'universalisation monothéiste. La transition juive vers le christianisme, puis l'Islam, indique que le judaïsme n'est pas un monothéisme véritable, sans que cette position d'entre-deux signifie l'infériorité du judaïsme.
L'avènement du monothéisme implique l'unification de l'homme, soit l'évolution de l'homme morcelé vers l'homme unique. Un seul dieu pour un seul homme - en somme. La marche de l'homme vers la conquête et la maîtrise du monde terrestre induit l'unification de l'humanité, soit la réunification des différences. Du coup, le sens se renverse à l'intérieur du polythéisme : l'homme unifié devient le garant du même quand c'est l'autre qui incarne le divin.
On demeure dans un schéma transcendantaliste car nous sommes toujours dans le sens du prolongement. Ce maintien transcendantaliste signifie que l'unification ne chamboule pas le mode de pensée du polythéiste mais le renverse. On peut expliquer le renversement dans le maintien par le fait que le transcendantalisme instaure le prolongement comme principe explicatif de l'incomplétude du monde.
b) Dans l'explication transcendantaliste, le sensible est incomplet parce qu'il appartient au divin. Ce principe est seulement renversé dans le monothéisme. Il n'est pas brisé. Le monothéisme renverse en les conservant les deux principes de prolongement/opposition du même et de l'autre. Du coup, le monothéisme est plus instable, car c'est l'homme qui incarne le principe de stabilité. Quant à la divinisation de l'autre, c'est la divinisation de l'instabilité. Le sens patine car il est très difficile de comprendre que le changement incarne le divin. La tentation est d'allier le changement avec la stabilité, une démarche oxymorique entre le même et l'autre.
Le sens se brouille. La raison pour laquelle le monothéisme dure si peu de temps en comparaison du polythéisme tient à ce principe d'instabilité qui est inscrit au cœur de son fonctionnement et au cœur du renversement transcendantaliste. Jamais le monothéisme n'a été capable de réconcilier la contradiction de son renversement entre le même et l'autre. Si l'on veut un exemple de cette contradiction insoluble, il réside dans la problématique de l'ontologie pré-socratique. Parménide et ses contemporains cherchent à expliquer la permanence en l'associant à l'autre.
Raison de leur questionnement harassé et raison pour laquelle le monothéisme chrétien accouche d'une trinité : il faut ajouter un troisième terme au schéma binaire du prolongement pour expliquer la difficulté de conciliation entre le même et l'autre. La limite du monothéisme s'arrête à l'unification du monde, soit au symbolique 1492. La limite du polythéisme est dans la tribu. La limite du transcendantalisme intervient au bout du monothéisme. Pourquoi cette limite de la Terre?
Le sens transcendantaliste est au bout de la Terre parce que le prolongement n'est plus possible au-delà. Le prolongement n'est possible qu'à partir d'une limite du sensible. Cette limite coïncide avec la Terre. Chez les polythéistes comme les monothéistes, la Terre n'est pas conçue comme tout à fait plate. Les représentations sont assez fluctuantes et ambiguës en ce qu'elles oscillent entre les deux conceptions depuis au moins l'Antiquité. Les découvertes scientifiques qui correspondent aux découvertes pratiques et théoriques du Nouveau monde participent du mouvement qui affirme la sphéricité de la Terre.
Cependant, le vrai changement intervient dans la représentation de la Terre au centre de l'univers. Selon les auteurs depuis Parménide, la Terre est plutôt ronde que plate. Mais elle est au centre de l'univers, notamment pour Aristote qui conçoit l'univers comme fini. C'est cette différence qu'il convient de noter. Tant que la Terre est au centre de l'univers (infini ou fini), comme chez les savants musulmans arabes du Moyen-Age chrétien, on demeure dans les limites du transcendantalisme. A partir du moment où l'on avance que la Terre est un point marginal et dérisoire de l'univers, on sort du transcendantalisme.
On découvre que le prolongement n'est pas valable - le sens sensible ne s'épuise pas avec la Terre au centre, mais qu'il commence avec cette partition. C'est ainsi que l'immanentisme naît, comme la découverte que le sens n'existe pas et que le sensible n'englobe pas la Terre. La fin du transcendantalisme coïncide avec la fin du sens lié au centre de la Terre.
Selon le transcendantalisme, le sens sensible est au centre de l'homme. Quand l'homme dépasse la terre, il dépasse le sens. Reste l'interprétation monothéiste selon laquelle le sens n'existe pas. L'homme est non plus le centre, mais la marge - la quantité négligeable. La destruction du même et de l'autre par l'immanentisme aboutit à l'opposition antithétique et non complémentaire du réel et du néant. Pour retrouver un horizon - qui soit celui de l'espace après la Terre, il faut créer une nouvelle opposition qui passe par le complément du néant positif et l'être ordonné.
C'est le rapport du reflet complémentaire. Le même est l'envers. L'autre est l'ordre. L'envers et l'ordre sont les deux axes complémentaires du néanthéisme qui succède à la grille de lecture du transcendantalisme. Dans le néanthéisme, la limite est l'espace. L'espace n'est pas l'illimité, mais la limite entre l'horizon humain et la complétude du réel. La complétude réside en termes néanthéistes dans l'enversion.
Nous avons trois modes de pensée. Chaque mode de pensée est attaché à un territoire physique :
1) le transcendantalisme : c'est le prolongement.
Le prolongement fonctionne avec la limite de la Terre.
2) l'immanentisme : c'est l'antithèse anti-complémentaire.
L'antithèse fonctionne avec la limite du fini.
3) le néanthéisme : c'est l'enversion.
L'enversion fonctionne avec la limite de l'espace.
A noter que l'immanentisme est démasqué comme nihilisme en ce qu'il est incapable de proposer une nouvelle limite mais qu'il propose une absence de limite et qu'il restaure l'infini illimité sous les termes du fini infini. L'
illimite va de pair avec l'antithèse. L'asensé va de pair avec la réfutation du complément. En ce sens, la limite du monothéisme est atteinte avec le symbolique 1492. Après cette date, c'est l'effondrement du transcendantalisme et son remplacement par l'immanentisme qui indique l'inutilité de la progression puisque au sein de l'infini, la limite explose. La limite, c'est le sens. Le sens explose.
L'absence de sens indique l'absence de limite. Après 1492, l'homme est occupé soit à se diriger vers l'espace et à préparer le remplacement du transcendantalisme par le néanthéisme; soit à régresser vers la domination destructrice de la Terre. L'homme se replie sur lui et décroît. C'est exactement le mouvement que nous observons et c'est ce mouvement que soutiennent les thuriféraires aveuglés et moutonniers du système immanentiste. Ils croient mimétiquement que la décroissance est la seule solution malthusienne à leur conception mécaniste et finie du réel; mais ils oublient que le vrai nom de la décroissance est le jeûne. Au bout d'un jeûne prolongé, c'est la mort qui est le terme.

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