mercredi 29 août 2012

L'idée de néant pose la question, au fond toute simple : si le néant n'existe pas, comment se fait-il que le mot existe? Platon explique que le néant pose mal la question de l'autre : du coup, il l'encastre dans l'Etre. En ne définissant pas l'Etre, il fragilise sa définition du néant et indique à rebours, non que le néant existe, mais qu'il est passé à côté d'un aspect primordial du réel.
Le nihiliste reconnaît d'autant mieux le néant qu'il est incapable de le définir autrement que négativement. Le mérite du nihiliste, qui explique son influence au fil des siècles, de manière majeure et déniée, notamment par la métaphysique, consiste à sentir que le réel est hétérogène. Puis il déforme l'intuition en la formulant sous forme d'antagonisme.
Le néanthéiste reconnaît l'importance de la contribution nihiliste pour en rejeter l'inflexion théorique (le non-être) et sa portée pratique (l'autodestruction). Si le nihilisme désignait une forme mineure et oubliée de philosophie, que l'on s'avise qu'il se trouve au fondement des deux courants principaux de la philosophie moderne : la métaphysique rénovée d'inspiration cartésienne; et l'immanentisme, lancée par l'hérétique Spinoza.
Quand l'ontologue, que l'on a tendance, par souci de pacification veule, à rapprocher du métaphysicien, alors qu'ils sont ennemis irréductibles, rejette la possibilité que le non-être soit, c'est parce qu'il sent que le négatif est la dégradation de l'idée, la forme mal définie de quelque chose, oscillant entre le désir, la volonté, le sentiment et l'intuition. Mais que signifie l'incapacité à définir l'Etre?
Que l'ontologue est passé à côté de l'essentiel du réel : l'hétérogénéité. De ce fait, il ne peut saisir l'enversion et lui oppose, avec une logique imperturbable, l'homogénéité. Si l'Etre englobe l'être, effectivement, l'homogénéité est la seule possibilité. Seul problème : il ne peut démontrer l'Etre pour la raison que le réel n'est pas formé en prolongement homogène, mais en hétérogénéité. L'hétérogénéité pour perdurer est contrainte de former le lien de l'unité dans l'enversion. Si elle s'était formée en reflet symétrique, elle s'appauvrirait, car le contenu de la contradiction donne lieu au fini non-contradictoire.
Si le non-contradictoire était infini, il ne pourrait être in domaine et ne pourrait surgir du contradictoire : si le contradictoire est quelque chose et qu'il a besoin de se réaliser en autre chose de pérenne, il faut bien que sa réalisation non-contradictoire soit finie. Si sa réalisation était infinie, elle n'aurait pas besoin du contradictoire et le tiendrait pour superflu. De telle sorte que l'infini est un terme négatif qui n'existe pas et que le fini ne peut exister seul, sans complément, ainsi qu'y invite une définition d'Ersnt Mach : le réel serait "un être unilatéral dont le complément en miroir n'existe pas" (cité par Clément Rosset).
L'approche philosophique de Mach est nihiliste : l'absence de complément rend l'hypothèse du non-être satisfaisante. Mach déforme la théorie en conférant au complément de l'être stable une symétrie. Le complément serait aussi stable que son élément initial. Le nihiliste ne voit qu'une théorie concurrente : l'ontologie. Elle serait la doctrine de la stabilité de l'Etre, quand le nihilisme considérerait de manière irrationaliste que l'être est stable, et qu'il se trouve opposé au non-être qui lui échappe à toute qualification, puisqu'il n'est pas quelque chose et qu'il est de ne pas être.
Le mot néant existe parce qu'il reconnaît l'hétérogénéité du réel, tout en formulant fort mal le problème. Le nihilisme se trompe d'accepter l'irrationalisme : que le négatif puisse être positif, que le contradictoire puisse être de manière pérenne et inexplicable. Le nihilisme parie sur la possibilité qu'il y ait un réel qui ne soit pas de l'être, qui soit inconnaissable et qui soit contradictoire. Parier sur le négatif de manière contradictoire ne rime à rien, car, de même que l'on ne peut être négativement, l'on ne peut accéder à la réalité négativement. La négation signale une diminution dans l'être et dans la contradiction elle force à la positivité, la contradiction étant forcée de créer de la non-contradiction, comme - X - = +. 
Dans le domaine de l'être, elle exprime la diminution, et dans le domine du réel reconnu comme l'hétérogénéité, elle correspond à la contradiction : elle ne peut en aucun cas existe indépendamment, sauf à penser que nous pouvons penser de manière contradictoire et viable. Le nihilisme explicite n'est pas tenable et n'a jamais pu trouver de viabilité, supportant toujours le rejet et l'opprobre. Mais de nombreuses traditions, comme la métaphysique, s'en sont servi pour une raison : le nihilisme offre l'occasion miraculeuse de se passer de l'effort de connaître. Il décrète que tout ce qui nécessite du changement relève de la poubelle à problèmes, dans laquelle on se débarrasse des difficultés au lieu de les résoudre. Le nihilisme permet de ne pas connaître le plus difficile, et de réduire la connaissance au savoir, soit au donné.

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