mardi 5 février 2013

Le problème philosophique par excellence : qu'est-ce que le nihilisme? Pour reprendre l'interrogation leibnizienne, on pourrait poser la question ainsi : qu'est-ce que le rien? L'avantage nihiliste est qu'il isole, au sens physique, le réel, sous forme de domaine, concret, dont l'expression temporalisée est l'instant. Gorgias est un sophiste, au sens où il reconnaît le précipité! 
Le non-étant est une explication de théorie générale contradictoire, une anti-théorie, au sens où elle dresse un tableau général du particulier, qui prétend que l'être n'existe pas (a fortiori l'Etre), que l'étant seul existe. Gorgias rend compatibles étant et non-étant par le lien de leur singularité. Si le singulier peut coexister avec le non-être, le seul moyen d'expliquer le réel de la sorte implique que l'on dresse l'éloge de l'incohérence. 
Rosset est le disciple, immanentiste (spinozo-nietzschéen), de Gorgias, au sens où il se réclame du réel arbitraire : le plus sensible et trivial. Il ne théorise pas sur le néant, au sens où il n'y a rien à en dire - il a retenu la leçon des métaphysiciens, dont Bergson, dont il se réclame près de lui, ou Descartes, à l'émergence de la philosophie moderne. 
Gorgias a été oublié, parce qu'il ruine la théorie plus qu'il ne l'achève, et que son geste destructeur avoue sa profonde inanité dans la ruine de l'enseignement : comment un philosophe peut-il se faire payer pour penser que la pensée n'est rien? Les immanentistes de phase terminale, tel Rosset, sont voués à l'oubli, à l'image de Gorgias : impossible d'échapper à la néantisation de leur pensée, car ils refusent que le réel puisse perdurer. 
Au moins les cousins métaphysiciens entendent-ils que l'être fini est théorisable - raison de leur postérité ambiguë; tandis que nos immanentistes terminaux, poursuivant le processus d'autodestruction du réel "peau de chagrin", en viennent à refuser la possibilité que demeure ce que le vent emporte. Il se pourrait que le crime abominable de Cantat, qui revendique cette formule morose et postromantique, résulte d'un meurtre immanentiste, incompris de son auteur, ainsi qu'il arrive pour tout faux créateur pris dans les rets du mimétisme anti-créatif et sous-artistique : avoir décrété que toute chose était vouée à l'évanouissement rapide et définitif.
C'est ce qui déprime Rosset : citant Zola, il déplore que "quand la terre claquera dans l'espace comme une noix sèche, nos oeuvres n'ajouteront pas un atome à sa poussière" (in L'Oeuvre). Ce qui déprime le nihiliste, c'est qu'il pense que tout ce qui est ne vaut que dans l'instant et se trouve supplanté par ce qui n'est pas. La durée n'existe pas vraiment pour Gorgias, qui substitue à l'infinitif duratif être le participe présent de valeur provisoire étant. La suprématie de ce qui n'est pas induit la disparition de ce qui est, même si elle ne l'explique pas.
Le nihilisme est faux, en ce qu'il mène à la nostalgie et au pessimisme de l'absurde, même si Nietzsche essayera vaille que vaille de le remplacer par l'héroïsme surhumain - ou que Spinoza l'ancêtre-fondateur fera de la joie le sentiment par excellence exprimant la connaissance adéquate du réel, ce troisième genre que Spinoza assimile à l'intuition, avec une approche irrationaliste, puisque l'intuitif coïncide avec celui qui accroît sa liberté par sa puissance le privilège de l'arbitraire : l'intuitif est l'élu capable de posséder cette vision intuitive (dans un sens différent de Plotin), aussi rare que l'artiste créateur de Nietzsche capable de surhumain.
Le nihilisme escompte résoudre la contradiction à l'image de ce qu'en propose Héraclite d'Ephèse : le réel tient parce que les contraires se tiennent dans leur opposition. Cette explication pourrait proposer un certain équilibre, si elle ne posait pas plus encore de questions : car que sont ces contraires qui surgissent pour former le réel?
Le nihilisme est  ce qui refuse l'explication, cette anti-théorie qui se permet d'asséner la contradiction, parce qu'elle estime que la contradiction peut être fondamentale. La théorie d'Aristote du principe de non-contradiction s'explique en ce que l'opposition des contraires crée cette non-contradiction, dont on notera qu'elle n'est théorique que dans la limite où elle est négative.
Le négatif est le refus de l'explication.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire