dimanche 3 février 2013

Alors que les prophètes permettaient de se référer à une extériorité signe de croissance, l'artiste moderne a surgi à l'intérieur du christianisme - à partir de l'innovation monothéiste en général. Peu à peu, il en a pris le relais. Il est devenu la figure antagoniste, au sens où le prophète était le médium du divin, quand l'artiste exprime peu à peu son remplacement immanent. A partir de la modernité, il est devenu l'inverse de ce qu'il prétendait servir : selon l'idéal de la Renaissance, l'application humaine du progrès voulu par Dieu est transmissible dans l'expression artistique. 
Cette dégénérescence de l'artiste vers l'immanence fait de lui la trahison de ce qu'il revendiquait. De relais des prophètes, il devient médium de l'immanence. Bientôt, il incarne le symbole de l'immanentisme qui s'effondre. Trahissant l'art originel, dans sa mission au service du religieux, il se met au service de ce que l'homme possède de plus oligarchique, élitiste, prétentieux. En s'affranchissant des lois, il se croit arbitre des normes : c'est l'artiste d'aujourd'hui, l'artiste hégélien de l'art contemporain et rationnel, l'artiste issu des codes de l'art bourgeois, rebelle et transgressif au sens où il se comporte en figure tutélaire de notre monde libéral. Ce que son positionnement rebelle trahit, c'est qu'il est le héraut au service du libéralisme, celui qui a trahi la mission originelle de l'art moderne. 
L'artiste d'aujourd'hui est d'autant plus célébré qu'il a abandonné la quête de la durée, qui s'expliquait par le but de servir Dieu via les prophètes. Il est un dandy, singulier, qui s'ébat dans l'éphémère et qui se satisfait d'avoir servi, par le truchement de la figure sociale de l'éditeur, le libéralisme, au point d'en avoir été l'apologète avant-gardiste, à défaut de le faire innover. Aujourd'hui, l'artiste au sens de la Renaissance ne peut pas s'intégrer dans le système corrompu de la République des lettres de mouture médiatique, dont la principale caractéristique est de s'entêter à poursuivre le système caduc, déjà obsolète, Gutenberg. L'édition Gutenberg était promise au dépassement dès son départ, en ce qu'elle se trouve sous la coupe du format du monothéisme, mais, depuis qu'elle a entamé sa décrépitude, elle épouse l'influence du libéralisme. 
L'auteur devient un homme-sandwich d'autant plus reconnu qu'il est l'un parmi tant d'autres et que la multiplicité lui garantit la valeur éphémère, proche de l'anéantissement. L'artiste de la modernité a sombré dans la propagande bourgeoise et libérale. Pour relancer la dynamique religieuse, il faut se rappeler que l'artiste n'est jamais que le relais du prophète et de l'homme religieux. Quand il s'en émancipe, il n'en constitue pas l'alternative, mais la dégénérescence, l'incarnation nihiliste, de facture immanentiste (l'immanentisme constitue le mouvement le plus original du nihilisme moderne).
Il convient d'échapper au piège selon lequel il faudrait, pour s'éloigner de cet artiste héraut de l'immanentisme, opérer la relance de l'artiste comme fin. Le projet aboutirait à promouvoir l'alternative au religieux (le projet de l'artiste-fin ramène à l'artiste immanentiste, ce qui indique l'identité profonde des contraires placés sur la même ligne). Le projet de l'artiste ne peut qu'aboutir à du nihilisme si l'artistique est la fin. 
L'expression artistique pour être de qualité doit être inféodée au religieux. On institue un cercle vicieux si l'on escompte sauver le format de l'art-fin. Ce qui permettra de relancer tant l'art que l'homme, c'est l'instauration de nouvelles normes religieuses, pas  artistiques. Ces nouvelles normes religieuses pourront instituer de nouvelles lignes internes de type artistique.
La condamnation platonicienne de l'art ne ressortit pas seulement de la censure bornée et de l'intégrisme ontologique. Elle perçoit dans l'art la limitation dégénérative de l'expression religieuse (Platon pensait que l'ontologie en constituait l'acmé définitive). L'art compris dans la forme innovante du néanthéisme perd sa dimension finaliste. L'expression philosophique gagne en importance, du fait que la mission de la philosophie n'est pas de se tenir au service du religieux, mais de constituer l'expression du religieux. 
Le projet nihiliste de faire de l'expression philosophique le discours nihiliste par opposition au discours transcendantaliste implique que le nihilisme soit une religiosité paradoxale, qui réfute le religieux tout en cherchant à conférer à son discours rationaliste et anti-prophétique une dimension générale. La différence est que le religieux classique est un discours d'ensemble qui inclut l'infini (d'où le prophétisme comme moyen supérieur d'expliquer l'infini); tandis que le nihilisme explique l'ensemble du réel, entendu dans l'acception de fini (et encore, une fois la métaphysique.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire